G.H.O.U.L.S.
Grateful Homeless, Outcasts and Unwanteds Layaway Society
Il y a des monstres qui vous marquent plus que d’autres et dont on a envie de parler. Pas de leurs histoires, mais de eux en tant que tel, car ils se retrouvent parfois coincés dans des intrigues qui ne sont pas à la hauteur de leur potentiel. Ainsi, s’il y a beaucoup de choses à dire à propos de la série Tales From the Crypt de HBO entre la modernisation de l’adaptation, la permissivité des effets spéciaux pour l’époque et les incroyables invités qui se sont retrouvés sur le show, j’ai toujours voulu écrire quelque choses à propos des créatures de l’épisode Mournin’ Mess (saison 3, épisode 10). Et juste d’elles. L’épisode en lui-même est de toute façon très court et repose sur la découverte finale dont je désire parler, aussi je réserve une véritable chronique pour une rétrospective à venir…
Et donc, comme le titre l’indique, il est ici question de Goules. Des créatures trop peu représentées même à travers le cinéma horrifique et servant généralement de morts-vivants ou de vampires selon le scénariste. Des servants sans pouvoirs ni intelligences, utilisés comme chair à canon par un antagoniste plus puissant: dans le Vampires de John Carpenter, ils sont les suceurs de sang décérébrés qui squattent la maison au début du film, même chose dans Hellsing où ils ne sont que des zombies que les Nosferatus utilisent comme mini-armée. Il y a quelques exceptions qui essaient d’explorer leur mythologie, comme l’excellent sketch Humegoo de Monster Club et surtout La Nuit des Morts-Vivants, puisqu’ils en était les héros avant que les termes “zombies” et “morts-vivants” ne soient employés et leur volent la vedette, mais cela reste infime.
Le scénario, grandement retravaillé par rapport à la bande-dessinée originale (où les goules s’étaient littéralement inspirées d’une autre histoire de Tales From the Crypt à propos d’un restaurant pour vampires, afin d’en reprendre le concept !) est signé Manny Coto, réalisateur du génial Dr. Giggles qui injecte forcément ici aussi une forte dose d’humour noir à cette histoire de service de restauration moderne pour charognards. Car si Mournin’ Mess, l’épisode, traite d’un mystère à propos de meurtres en série sur des sans-abris, tous enterrés dans un même cimetière récemment inauguré par une société excentrique préférant financer des services funéraires plutôt que donner des aides à ceux qui en ont besoin de leur vivant, l’élément principal du récit dépoussière surtout le mythe de la goule pilleuse de tombes pour l’intégrer aux us et coutume du XXe siècle.
Dans son petit univers, le récit montre comment elles ont secrètement rejoint la société américaine depuis le temps des Pères Fondateurs, comme le prouvent de grands tableaux montrant des êtres au faciès monstrueux en costumes d’époque. C’est un détail amusant qui mériterait d’être un peu plus exploré et qui rappel fortement les cannibales de l’hilarant épisode The Washingtonians de Masters of Horror (saison 2), mais on peut facilement supposer que les monstres ont, comme beaucoup, quittés le Vieux Contient pour tenter leur chance avec le Nouveau Monde. C’est peut-être par nostalgie ou habitude que leur antre souterraine reste décorée comme durant cette période. Les différents conflits de l’Histoire américaine les auront sans doute fournis fréquemment en cadavres frais, comme la guerre d’indépendance ou celle de Sécession…
Depuis lors, elles ont fini par s’adapter à la vie moderne et même l’investir sans se soucier de leur apparence grâce à des masques ultra-réalistes. On découvre dans l’ultime révélation que l’un des rival du protagoniste, un journaliste, était une goule depuis le début. Un autre personnage mentionne le fait que plusieurs officiels de la ville sont de mèches avec la société de donateurs responsable du cimetière pour SDF et on peut en déduire que les monstres ont atteint de très haut postes, s’enrichissant secrètement. Et que font les grands riches ? Ils profitent bien sûr !, et investissent dans ce qui est un restaurant haut de gamme pouvant répondre à leurs besoins si particuliers et sans jamais attirer le regard sur eux. Leur idée est même ingénieuse, prenant racine dans un mal très contemporain: le manque de considération de la société pour les sans-abris. Les nombreux marginaux errant dans la rue leur permettent de se procurer des corps en abondance sans que personne n’y prête réellement attention.
Et pour s’assurer de bien récupérer les cadavres, ils fondent un organisme de charité spécialement dédié à offrir un peu de dignité à ces miséreux dans la mort. Quand un reporter leur demande pourquoi ne pas directement financer des aides sociales, ils rétorquent alors qu’il existe suffisamment d’associations s’occupant déjà de cela ! Les charognards le sont décidément jusqu’au bout, et d’ailleurs ils ne s’en cachent pas comme l’atteste l’acronyme formé par le nom de leur groupe:
Ghouls. Goules. Adorable. Pour ne pas attirer l’attention là-dessus, ils insistent même pour dire que le diminutif se dit Grateful Homeless Society, ou GHS. Pour les curieux, en français cela donne quelque chose comme la “société des sans-abris, proscrits et des laissés pour compte reconnaissants”, et effectivement, SSAPLPCR, ça claque tout de suite beaucoup moins.
Ne reste plus qu’à faire la récolte pour s’assurer d’avoir assez de provisions afin de nourrir tout le monde. Et on peut clairement voir l’inauguration du cimetière comme celle, non officielle, du restaurant. Le scénariste ne laisse rien au hasard et la vague de meurtres en série de clochards qui secoue la ville est évidemment organisée par les monstres. Car c’est à une véritable industrialisation de la violation de sépulture que nous sommes confronté: plutôt que de creuser les tombes, tout a été conçu afin que la réception des cercueils soient aisées. Les pierres tombales sont marquées d’un étrange blason et les emplacements pour enterrement possèdent une porte au fond du trou, qui s’ouvre directement sur un réseau de galeries. Celles-ci mènent aux catacombes où résident les goules et surtout à la grande salle à manger, parodie de dining room bourgeoise avec mobilier chic, service en argent et jusqu’à la présence de rince doigts et de petites sauces pour relever le goût !
L’épisode va jusqu’à leur jeter le héros en pâture, celui-ci finissant dévoré par des monstres qui n’ont pas eu de chair fraiche “depuis si longtemps”. De quoi rendre mémorable leur grande ouverture, c’est certain…
Mournin’ Mess ressemble au final beaucoup à l’histoire montrée dans Monster Club, que j’évoquais plus haut. Dans les deux cas l’aspect “classique” de la créature est revisité dans un contexte contemporain, où elle aurait su s’adapter à la société actuelle pour en tirer des avantages. L’intrigue de Humegoo montrait le protagoniste s’échapper d’un village de monstres semblant appartenir au siècle passé pour mieux tomber sur les Anciens, la haute caste, provenant de la grande ville et se faisant même escorter par des policiers, créatures capables de dissimuler leur véritable nature aux yeux des humains.
Sûrement pas un hasard cette ressemblance, puisque la maison de production, la Amicus, fut justement responsable des premières adaptations de Tales From the Crypt et de The Vault of Horror. Nulle doute que les nombreux magazines lu par les responsables de ces deux films ont dû marquer quelques personnes pour les autres anthologies horrifiques qui suivirent (Asylum, From Beyond the Grave et donc Monster Club).
La version HBO, plus récente et ne pouvant se réclamer d’un héritage british classique, développe juste un peu plus le sujet tout en s’amusant avec. A ce titre la scène de la conférence de presse est plutôt réussi, l’évènement réunissant tout au plus une dizaine de journalistes (preuve que tout le monde se moque du sort des SDF) tandis que les goules cachent à peine leurs origines: le président et ses associés expliquent partager un passé commun où ils étaient sans-abris autrefois, ce qui n’est évidemment plus le cas maintenant qu’ils ont envahi notre société !
Si d’ordinaire je ne suis pas grand fan des intrigues de conspirations où un réseau tentaculaires et omniscient réussi forcément à poursuivre ses méfaits en toute discrétion, un héros solitaire ne pouvant jamais les confondre par manque de preuve et finissant toujours par tomber dans les pièges les plus stupides, il y a ici assez de folie et d’originalité dans le propos pour que le résultat soit divertissant et surtout très amusant. Encore que j’aurai bien voulu voir la classe du bas prendre sa revanche et montrer un Vincent Schiavelli héroïque dégommer ces sales goules finalement trop semblables à ces rapaces de 1% qui contrôlent le vrai monde.
Les goules dans une nouvelle de CLARK ASTHON SMITH , sont prodigieuses. D’une poésie fulgurante .
Il y en avait effectivement beaucoup chez lui, Howard et Lovecraft, pour de très bons récits.