Doctor X
(1932)
“Professor Duke, don’t criticize Joanne for her state of undress !”
A l’origine de Doctor X, il y a une pièce de théâtre intitulée The Terror. Une petite “comedy mystery” en trois actes qui débuta à Broadway en Février 1931, pour un total d’environ 80 représentations. Lorsque les producteurs découvrirent qu’une autre pièce du même nom était déjà jouée en ville, craignant des poursuites judiciaires par ce concurrent, ils changèrent le titre de leur œuvre en Doctor X, d’après leur personnage principal, le Dr. Xavier (aucun rapport avec le Pr. Xavier, dit Professor X, des X-Men, mais impossible de ne pas faire le rapprochement). Malgré cet incident le spectacle connu un certain succès et attira l’attention de Warner Bros, qui décida de l’adapter pour le grand écran à peine un an plus tard. La compagnie apporta toutefois quelques modifications à l’histoire, sans doute pour mieux cataloguer le film dans le genre horrifique et le vendre plus facilement, transformant ainsi le tueur psychotique de la pièce en un monstre difforme créé par le biais de la science.
Car l’intrigue tourne autour de l’insaisissable Moon Killer, qui n’attaque que les nuits de pleine lune. Doté d’une force phénoménale, il est aussi cannibale et dévore partiellement ses victimes en plus de pratiquer d’étranges incisions chirurgicales sur les corps, à la base du crâne. Lorsque la police soupçonne un membre de la prestigieuse académie de science locale, son directeur, le Dr. Xavier, s’insurge. Craignant que l’affaire ne nuise à la réputation de son établissement, il accepte toutefois de désigner ceux qui sont le plus suspects à ses yeux: le Dr. Haines, qui travail sur la matière grise, le Dr. Rowitz, qui étudie l’impact des phases de la lune sur l’environnement, et le Dr. Wells, un expert en anthropophagie. Si ce dernier est lourdement handicapé et rayé de la liste, Rowitz aborde une cicatrice au visage qui évoque l’aspect défiguré de l’assassin. Qui plus est, lui et Haines ont autrefois disparu en mer après un accident et Xavier les soupçonnes d’avoir mangé un troisième rescapé pour survivre…
L’enquête est mise à mal lorsqu’un journaliste fouineur écrit un article sur l’affaire, et le Dr. X fuit la ville pendant quelques jours pour éviter toute mauvaise publicité. Il s’installe dans un manoir isolé et embarque avec lui les médecins ciblés par la police afin de leur expliquer la situation. Persuadé qu’il peut lui-même démasquer le coupable, et pensant que le suicide est une meilleure alternative que la peine de mort, il contraint ses collègues à participer à une expérience en lien avec ses recherches: selon lui, les phobies et autres pensées refoulées peuvent être exposées au grand jour via une réaction franche qui vient du fond du cœur. A l’aide d’une machine pouvant étudier ces réponses émotionnelles, il confronte alors ses confrères à une reconstitution d’un meurtre du Moon Killer, pensant réveiller les pulsions sadiques du coupable ce faisant. Mais l’assassin se trouve t-il vraiment parmi le groupe sélectionné ? Car l’un des scientifiques est tué avant que la vérité n’éclate, et ainsi disparaît la meilleure piste de Xavier…
Ce qui ne transpire pas vraiment avec ce résumé, c’est que le film est pratiquement une comédie. Un vestige de la pièce originale qui ne survit ici qu’à moitié, à travers des gags et plaisanteries en décalage avec la menace glauque qui plane sur les protagonistes. Car Doctor X date d’avant l’entrée en fonction du très puritain Code Hays, qui visait à censurer Hollywood afin de l’empêcher de “porter atteinte aux valeurs du spectateurs”. Appliqué de 1934 à 1936, ce règlement empêchait les cinéastes de montrer – voir même d’évoquer – certains sujets sensibles ou scandaleux selon la bonne morale: pas de blasphème, pas de drogue, pas de nudité, pas même de romance montré d’une façon un peu prononcée comme un baiser langoureux ! Et bien sûr pas de sujets dérangeants ou tabous, ce que le scénario n’hésite pas à faire ici puisqu’il y est question de mutilations, de cannibalisme, et une remarque est faite quant aux tenues légères portées par l’héroïne, qui effectivement se balade la plupart du temps en maillot de bain ou en nuisette.
Évidemment il n’y a là rien de graphique et ces choses sont simplement suggérées, mais il n’empêche que les thèmes sont présent et qu’ils clashent pas mal avec la sous-intrigue de ce journaliste gaffeur poursuivant Xavier sans relâche: il se cogne dans le mobilier, sursaute à la moindre image macabre, refile des coups de jus à son entourage avec un buzzer de farces et attrapes, et effraie même involontairement le Moon Killer en fumant un mauvais cigare qui lui explose au visage ! Le meurtrier, qui s’apprêtait à l’attaquer par derrière, prend alors ses jambes à son cou comme une petite fille apeurée, ce qui est tellement absurde que ça en devient effectivement drôle. Pendant ce temps, un savant cache un magazine coquin dans un livre de médecine… Mais que l’amateur de savants fous se rassure, Doctor X demeure bien fourni à ce niveau là également, avec machines délirantes, technobabbles à la Star Trek et une ambiance gothique clairement empruntée au Frankenstein de la Universal.
La bâtisse de Xavier est construite au bord d’une falaise entourée par la brume, un cœur humain est gardé vivant dans un bocal orné d’ampoules clignotantes, et le Dr. X pratique une autopsie que l’on ne voit qu’en ombre chinoise sur le drap mortuaire soulevé par la police. Le Moon Killer est un véritable freak dont l’apparence évoque celle de l’acteur Rondo Hatton, alias The Creeper, mais en plus grossière, et cela une dizaine d’années avant que l’acteur difforme ne fasse carrière. La vérité derrière sa création pourra surprendre puisque préfigurant le Darkman de Sam Raimi avec cette peau synthétique dont un médecin se recouvre pour pallier à un lourd handicap, changeant ainsi radicalement d’apparence. Du cannibalisme, il s’en moque bien, puisqu’il prélevait simplement des échantillon de chair sur ses victimes afin de poursuivre ses recherches, et un appareil électrique lui permet même d’animer une main artificielle qu’il greffe sur son moignon. Et puis il y a l’improbable invention du personnage principal.
Permettant d’amplifier les réactions du battement de cœur par 4000 (quoique cela veuille dire), elle est composée de rotateurs magnétiques, d’une bobine de haute fréquence, d’un générateur électrostatique et de tubes thermiques irradiés par décharges électriques. Une merveille de n’importe quoi qui rend merveilleusement bien à l’écran grâce aux talents du set designer (le talentueux Anton Grot) qui récupéra les éléments les plus impressionnants possibles pour construire le laboratoire de Xavier. Le réalisateur s’amuse aussi à l’occasion, comme lorsqu’il filme la transformation de l’antagoniste du point de vue du produit chimique qu’il utilise, de la vapeur créant une sorte de vignette autour de l’image. Un petit côté Dr. Jekyll et M. Hyde qui devient encore plus apparent lors du final puisque le Moon Killer conserve sa voix humaine et son intellect malgré la transformation physique, raillant ses confrères impuissants. Dommage du coup que tout ceci se termine par un ridicule combat au corps à corps entre l’assassin, soudainement pataud, et le reporter, soudainement sérieux.
Pour se rattraper, Doctor X possède un atout de taille: le Technicolor ! Bénéficiant d’un système de teinte à deux couleurs (le “procédé 3”, qui offrait un grain d’image plus fin que ses prédécesseurs, permettant une meilleure qualité d’image), le film fut personnellement supervisée par Natalie Kalmus, la directrice de la compagnie de coloration, qui inventa une palette spécifique pour lui conférer une ambiance mystérieuse et lugubre. L’idée étant venue assez tôt durant la production, le directeur de la photographie Ray Rennahan (Autant en Emporte le Vent) dû spécifiquement composer les prises de vue avec cela en tête pour assurer le meilleur rendu. De nos jours le résultat peut paraître un brin désuet, surtout avec la dominance des tons verts qui se retrouve un peu partout, mais il faut avouer que cela contribue grandement au charme et à l’ambiance quasi onirique de l’œuvre qui prend parfois des allures de mauvais rêve nonsensique.
Car il faut dire qu’entre ça, la mauvaise balance entre les moments comiques et sérieux, la créature grotesque qui s’exprime de manière intelligible et quelques passages surréalistes comme ce majordome qui se balade sans raison avec un plateau à verres dans une main et un demi-squelette en plastique dans l’autre, le résultat transcende sa nature de série B conventionnelle pour devenir parfois limite expérimental. Tout le monde ne pu en profiter pleinement à l’époque cependant, puisque pour des raisons d’économie la Warner réserva les copies couleurs aux grandes métropoles, envoyant une version moins cher en noir et blanc dans les petites villes et à l’étranger (au grand dam de Technicolor qui était fier de son travail). A noter que celle-ci n’est pas un simple transfert incolore mais pratiquement un montage alternatif, puisque là encore conçue durant le tournage et supervisée par un autre cinématographe moins talentueux que Rennahan, le simple technicien Richard Towers.
Si certaines sources considèrent les différences comme mineurs, d’autres prétendent au contraire qu’elles sont considérables, et les mêmes exemples sont donnés par les deux camps (!), avec l’introduction dans la maison close et la scène où le reporter se retrouve coincé dans une remise avec des squelettes. Il me suffirait d’y jeter un œil pour en avoir le cœur net, mais je n’y ai pas eu accès. Ce qui est plutôt ironique considérant que pendant longtemps cette version fut la seule visible par le grand public, la copie Technicolor ayant été considérée perdue durant les années 50 après que la compagnie se soit débarrassée de ses négatifs bicolores fin Décembre 1948. Trente ans plus tard cependant, à la mort de Jack L. Warner, président de la Warner Bros, une copie survivante fut découverte dans sa collection personnelle et dupliquée pour préservation et transfert vidéo. Elle fut utilisée tout récemment pour la création du Blu-ray de la Warner Archive Collection, via une restauration financée par Edutopia, la fondation de George Lucas.
La qualité est remarquable vu l’âge du film (même si quelques images sans doute trop abîmées par le temps ont disparu et provoquent quelques petits sauts dans les raccords) et cela permet de pleinement apprécier le travail du metteur en scène Michael Curtiz, qui devint quelques temps plus tard l’une des plus grosses pointures d’Hollywood en tournant Les Aventures de Robin des Bois et Capitaine Blood avec Errol Flynn, et surtout Casablanca avec Humphrey Bogart. Ce dernier trouva d’ailleurs le moyen d’atterrir dans la fausse suite The Return of Doctor X, film sans aucun rapport avec l’original et dirigé par un autre réalisateur. Le vrai successeur de Doctor X, c’est en fait Mystery of the Wax Museum, produit un an plus tard par la Warner et réunissant Michael Curtiz, Anton Grot et le procédé Technicolor de Natalie Kalmus. S’y retrouve aussi les deux stars du film, Lionel Atwill (le Docteur Xavier), qui dédia une partie de sa carrière aux films d’horreur, dont la série des Frankenstein pour la Universal, et Fray Way, la légendaire pin-up de King Kong que l’on a pu voir la même année dans Les Chasses du Comte Zaroff.
S’il est de nos jours oublié des mémoire et noyé dans la masse, Doctor X n’est pas sans avoir fait son petit effet en son temps. En 1933, Disney l’évoqua brièvement dans le court-métrage The Mad Doctor, où Mickey est confronté à un savant fou nommé Dr. XXX. L’une des chanson de la comédie musicale The Rocky Horror Show et de sa célèbre adaptation cinéma mentionne le personnage, et d’autres groupes plus ou moins connu comme Queensrÿche et Racer X lui firent références le temps d’un morceau. Pas si mal pour ce qui fut à l’origine un modeste petit spectacle de Broadway sans grande prétention !
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