007 – Light of my Death
(1993)
L’Agent 007 et les comics c’est une longue histoire, et on peut remonter jusqu’en 1963 pour découvrir le premier essai: une adaptation de James Bond contre Dr. No conçue pour la promotion du film. Après quelques autres tie-in sortis chez Marvel et Eclipse Comics, c’est en 1989 que sort la première bande-dessinée originale sur l’espion britannique (Permission to Die, toujours chez Eclipse). Par la suite c’est la compagnie Dark Horse qui reprend la licence, venant grossir une collection qui compte déjà RoboCop, Godzilla, ainsi que les Aliens et Predator dans ses rangs.
Évidemment l’éditeur n’est pas particulièrement fidèle au personnage et surtout pas à sa version papier. Quand bien même la saga 007 a énormément flirté avec la science-fiction, les premières histoires (Serpent’s Tooth, en trois numéros, et A Silent Armageddon, en deux puisque annulé en cours de parution) vont très loin dans le genre au point de faire s’affronter l’agent secret avec un dinosaure ! Light of my Death, au contraire, préfère revenir aux fondamentaux et se rapproche beaucoup plus de l’œuvre de Ian Fleming. Un cas un peu unique a vrai dire, puisque aucun autre comic-book n’a osé s’intéresser a cette version.
Et comme pour bien souligner l’exception, la parution ne s’est pas faite sous la forme habituelle de mini-série mais en publication fragmentée dans les pages de l’anthologie Dark Horse Comics, une revue fonctionnant comme un recueil d’histoires courtes.
A travers ce magazine l’idée était de présenter quelques personnages et univers récurrents proposés par l’éditeur, et ainsi familiariser les lecteurs avec leurs différentes séries en cours. Dans le cas de James Bond, ce sont six pages réparties sur quatre numéros (du #8 au #11) qui devaient mettre le héros sous les feux de la rampe. Avec seulement 24 pages pour raconter une histoire d’espionnage autant dire que ce n’est pas chose facile et, pour ne rien arranger les choses, le scénario s’éloigne drastiquement de ce qui a été raconté dans les histoires précédemment publiées par la compagnie.
Plutôt que de reprendre les éléments introduits auparavant, Light of my Death fait table rase de cette continuité et préfère se rapprocher des écrits originaux, ou en tout cas des premiers films de la franchise. Pas vraiment le meilleur choix pour s’attirer un lectorat, qui a dû se sentir un peu perdu devant ce parti-pris, mais une plutôt bonne nouvelle pour les fans inconditionnels de James Bond qui peuvent enfin revivre une aventure “à l’ancienne”.
Un choix qu’il faut attribuer à Das Petrou, scénariste présumablement britannique et responsable du thriller uchronique Ring of Roses, pour qui l’agent secret n’est finalement intéressant que dans le contexte de la Guerre Froide. C’est donc tout naturellement que Light of my Death se déroule aux alentours de 1961, date qui n’est pas officiellement donnée mais que l’on peut calculer via de nombreux éléments présent dans le scénario, et que les soviétiques sont impliqués dans l’intrigue.
Celle-ci commence en France, dans les Alpes, lorsque sont assassinés un banquier suisse et un agent du MI6. Alors que leur entrevue a lieu dans une télécabine en pleine ascension, un sniper armé d’un révolutionnaire fusil laser détruit le câble qui retenait la machine, précipitant les deux hommes vers une mort certaine. Les Services Secrets britanniques n’apprécient guère la situation et soupçonnent fortement les russes d’être à l’origine de cet attentat.
On présume en haut lieu que le banquier était chargé de gérer les comptes d’un trafiquant d’armes sévissant à Moscou, lequel serait carrément en affaire avec le gouvernement. Le KGB aurait fait tuer les deux hommes afin de préserver le secret de leurs transactions. La piste n’est pas improbable mais James Bond émet quelques doutes. D’une part le style de l’assassinat ne correspond pas aux agissements des soviétiques, de plus rien de tout cela n’apparaissait dans les rapports de l’agent tué en action. En effet, celui-ci semblait beaucoup plus s’intéresser aux irrégularités financières d’une entreprise agricole localisée à Hong Kong.
Les anglais n’y prêtant pas attention, ils envoient 007 enquêter sur place afin de mieux comprendre ce qui s’est passé. Celui-ci est aussitôt prit en chasse par des agents russes et ne doit la vie qu’à une vieille connaissance, Tatiana Romanova, justement a leur poursuite. Son ancienne compagne lui apprend que l’URSS cherche à savoir pourquoi certains de leur citoyens sont impliqués dans l’assassinat du banquier suisse, mais les suspects se révèlent en fait être des agents du KGB pensant que les Britanniques étaient responsables !
Dans cette confusion, Bond et Tatiana s’en remettent à leur seconde option et se rendent à Hong Kong pour découvrir ce que cache la mystérieuse entreprise accusée de fraude fiscale. Et pendant ce temps, le sniper au laser est contacté par un mystérieux M. Amos qui va lui confier un nouveau travail…
Ce commanditaire, qui tire les ficelles en semant la zizanie parmi les différents services de renseignement, va bien vite apparaître comme étant le dirigeant d’une organisation secrète tentaculaire et disposant de très gros moyens. Un syndicat dont le but premier est de s’enrichir au détriment du reste du monde, engageant nombre de personnages hors-normes pour arriver à ses fins. Quant à son leader, ce n’est autre qu’un homme obèse qui apparaît vissé sur un fauteuil à caresser son chat blanc…
Vous l’aurez compris, M. Amos n’est autre que Blofeld, l’adversaire principal de James Bond et fondateur de l’organisation criminelle SPECTRE ! Toutefois il y a fort a parier que l’auteur n’a pas pu utiliser son nom ni celui de sa société par une question de droits d’auteur, qui furent entre autres choses responsables de la longue pause dans la série cinéma, entre Permis de Tuer (1989) et GoldenEye (1995), et qui obligea les scénaristes de ce dernier à inventer le Syndicat Janus pour nommer les antagonistes.
Habile, le scénario ne met pas le personnage en avant et se contente de le présenter comme la partie immergée de l’iceberg (ou, oserais-je dire, d’une menace fantôme) qui plane sur toute l’affaire. Un homme de l’ombre, responsable du vol d’une grande partie de l’aide financière américaine envers l’Asie du Sud-Est et visiblement peu inquiété par les autorités. Difficile de dire s’il s’agit ici de sa première apparition dans la chronologie (franchement chaotique) Bondienne, mais il est certain que l’auteur aurait développé le personnage par la suite s’il avait eu l’occasion de poursuivre son histoire en série régulière.
Et c’est vraiment le seul défaut de ce Light of my Death. L’impression d’une aventure un peu vaine puisque trop courte et se concluant de façon trop abrupt. Si l’on peut imaginer que la suite des évènements se trouve tout naturellement dans les autres livres et films de James Bond, certains éléments sont tout de même perdus dans les coupes sombres, tel l’origine du fusil laser ou le rôle du partenaire de M. Amos (un sosie d’Albert Wesker).
Du reste il n’y a rien a redire. L’humour propre a saga est là, les personnages sont fidèles a eux-mêmes et on retrouve également l’Aston Martin DB5 et quelques gadgets (hélicoptère télécommandé, une grenade “flasque à alcool” et une jonque à réaction). L’aspect espionnage d’autrefois est bien présent via les nombreuses fausses pistes et découvertes que trouve 007 et l’action n’est pas en manque entre un sniper high-tech, une poursuite en ski tirée de Au Service Secret de sa Majesté et l’escalade du Sphinx au sommet duquel a lieu le duel final. Mentionnons également quelques clins d’œil pour les habitués de la franchise, comme le flirt habituel Bond / Moneypenny qui est aussitôt interrompu par M ou le fait que Tatiana ait changée de look depuis les évènements de Bon Baisers de Russie.
Enfin il faut évoquer les somptueux dessins de John Watkiss (partenaire de Das Petrou sur Ring of Roses) dont le James Bond ressemble vraiment à celui décrit par Ian Fleming, moins quelques détails. Il apparaît presque surprenant de voir sa version “super-héroïque” du personnage pour la couverture du Dark Horse Comics #10, limite caricaturale mais probablement commandé ainsi par l’éditeur soucieux d’appâter un public habitué aux graphismes standards des comics américains.
Il est secondé par le coloriste Trevor Goring (qui a bossé sur Death Race 2020 !), lequel a heureusement adhéré au choix visuel de son collègue et lui a associé de magnifique couleurs pastelles dont un couché de soleil en pleine mer tout bonnement renversant. Futur nominé à l’Eisner Award pour son boulot sur Starman (DC Comics), l’encreur Wade Von Grawbadget semble s’être suffisamment impliqué sur ce travail pour mériter un deuxième crédit en tant qu’assistant-scénariste. Très vraisemblablement il ne s’agit que d’un titre honorifique pour ses conseils sur la mise en images du script, lesquels ont dû générer quelques retouches ici et là.
Sans atteindre les sommets du genre, Light of my Death apparaît comme un très bon supplément aux romans de Ian Fleming et aux amoureux des premiers films de l’espion britannique. On y retrouve la même ambiance et il y avait un très grand potentiel a développer. Quel dommage que l’éditeur ait préféré miser sur une version plus jeune et plus branchée, mais de qualité inférieur.
Suivirent alors deux autres mini-séries en trois numéros, Shattered Helix puis The Quasimodo Gambit, et un autre histoire promotionnelle publiée dans les pages de Dark Horse Comics #25: le peu engageant Minute of Midnight qui semble être le recyclage rapide d’une dernière mini-série impossible a terminer dans les temps. La licence échappa en effet à Dark Horse pour rejoindre très brièvement l’écurie Topps Comics en 1995, juste le temps d’une adaptation inachevée de GoldenEye.
Bref on peut vraiment dire que pour James Bond, publier n’est pas joué…
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