House of Mystery #1 – The Hollows (2008)

 

House of Mystery #1

The Hollows

(2008)

 

For, even though all mysteries contain secrets,
not all secrets contain mysteries.
– Cain

 

 

House of Mystery et House of Secrets étaient deux titres servant d’anthologies horrifiques et fantastiques chez DC Comics, flirtant également avec le récit à suspense. Totalement inspirés par le succès les EC Comics. Il y a là justement une histoire secrète autour de leur création puisque les fondateurs de DC étaient autrefois les partenaires du père de Bill Gaines (patron d’EC et créateur des Tales From the Crypt et compagnie). C’est Gaines, Sr. qui révolutionna – relança ! – l’industrie comics aux États-Unis et sans lui, rien de ce qui n’existe désormais n’aurait été possible. Mais la réussite fini par corrompre et ses associés se séparèrent de lui pour fonder leur propre boite, emportant avec eux les droits des revues se vendant le mieux: DC, du titre de Detective Comics, un de leur plus grand succès. Gaines fonda de son côté Educational Comics (EC), jusqu’à ce que sa mort accidentellement n’oblige son fils à prendre la relève. DC baigne dans le dollar tandis que Gaines, Jr. découvre le déficit de sa compagnie, à deux doigts de la faillite. Il a alors l’idée de génie de créer la bande-dessinée d’horreur, sorte de coup de poker qui rapportera gros. Tellement gros que EC (dont les initiales signifient désormais Entertainment Comics) fut sauvé et que leurs nouvelles séries, Haunt of Fear, Tales From the Crypt et Vault of Horror, devinrent les comics les mieux vendus de leur époque, surpassant toute la concurrence.

 

 

Le succès du trio engendra un grand nombre d’imitateurs dont DC qui, comme les autres copieurs, firent partie des premiers à se cacher lorsque la politique se mêla au business pour le recadrer et le censurer. House of Mystery et House of Secrets devinrent moins monstrueux et dérangeant, tapant alors dans la science-fiction (façon Weird Science, chez EC) et les histoires de crimes et suspenses (Shock: SuspenStories et Crime: SuspenStories, toujours EC). Le véritable atout de la firme étant ses super-héros, il fut plus tard décidé de “recycler” les deux maisons surnaturelles dans cet univers où elles devinrent le théâtre de nouvelles aventures pour Batman, Superman et quelques autres. Même Elvira s’y retrouva invitée pour une mini-série, afin de raconter ou élucider quelques affaires étranges ! De véritables origines, assez passionnantes d’ailleurs, leur furent attribuées et leur emplacement véritable est désormais situé dans The Dreaming, c’est-à-dire le Royaume des Rêves dans l’univers DC. L’occasion parfaite pour leur faire côtoyer le célèbre Sandman de Neil Gaiman sous le label Vertigo. C’est justement dans cette collection que House of Mystery va connaître un revival en 2008, via le duo William Willingham et Lilah Sturges (ex Matthew Sturges, et oui il y a des mystères partout !), responsables de Fables et de son spin-off Jack of Fables.

 

 

Leur idée est simple mais parfaite pour dynamiser la vieille tradition du récit anthologique. Ainsi cette nouvelle mouture va non seulement continuée de proposer des récits d’horreur indépendantes comme autrefois, mais également proposer sa propre intrigue, servant de fil rouge et reliant ainsi chaque personnage d’une façon ou d’une autre. Une manière de fusionner les deux versions de la revue et de permettre au lecteur aussi bien de suivre la grande narration sur plusieurs numéros que de piocher ici et là en fonction de ses envies. Ingénieux et très bien géré. Le duo fait de la Maison une sorte de purgatoire où se retrouvent prisonniers des personnages issu d’époques et de dimensions différentes. Parce qu’ils ne peuvent pas quitter les lieux et n’ont rien à faire, raconter des histoires est devenu une sorte monnaie, payant leur repas ou des informations. Et c’est justement celle narrée dans le premier numéro de ce reboot qui m’intéressait d’explorer, étant donner son caractère body horror plutôt osé et unique (merci au label Vertigo de permettre les excès). Une chronique que je voulais faire durant Road to Halloween, puisque c’était le thème, avant que le manque de temps ne me force à laisser tomber. Comme je n’ai pas envie d’attendre un an supplémentaire avant d’en parler, voyez ça comme un bonus.

 

 

Si le comic général possède un titre plutôt compliqué (House of Mystery #1 sur la couverture, The First Drink is on the House dans les pages, sous-titré Room and Boredom Part 1), le conte qui nous intéresse est heureusement simplement nommé The Hollows. Toujours écrit par Bill Willingham, il trouve son introduction dans le fil rouge lorsque les personnages se réunissent dans la section bar/restaurant de la Maison pour passer le temps. C’est là que l’on découvre la belle Sally, surnommée Hungry Sally car elle a toujours faim et qui justement se bâfre au grand dam de Harry, le restaurateur. Étant donné l’ardoise impressionnante de la demoiselle, il l’encourage à payer ses dettes par une histoire et se montre suffisamment poli pour qu’elle accepte. Sally se décide alors à raconter la sienne, qui l’a amenée à se retrouver prisonnière de la Maison des Mystères et qui explique également son intrigante boulimie. Nous apprenons comment la jeune femme a quittée la grande ville à la mort de ses parents pour rejoindre une “adorable” petite ville appelée The Hollows. Malgré ce que l’héroïne nous dit sur la beauté de l’endroit, nous voyons que la zone est une ruine. Les maisons sont délabrés, les extérieurs mal entretenus, les lampadaires sont tous cassés, et surtout, les habitants sont… des mouches géantes, de taille humaine !

 

 

La situation ne semble pourtant pas alarmante pour Sally, qui persiste à planter un décors de rêve. Tant pis si elle est la seule humaine du coin, elle est heureuse à l’idée d’être devenue le centre d’attention de la population locale et jamais ne réagit quant au caractère singulier de toute cette affaire. Sa narration se perd au contraire dans une improbable histoire d’amour: sa beauté lui attire de nombreux prétendants et elle est bientôt courtisée par un certain Albert Crimp, l’homme le plus beau et le plus riche du patelin. Un gentleman dont elle tombe amoureuse et avec qui elle fini par se marier. Et donc oui, l’héroïne se marie avec une grosse mouche dégoutante et l’intrigue prend un tournant pour le moins perturbant puisqu’il est ensuite question de leur relation. Les deux passent leur nuit de noce (accouplement seulement suggéré mais quand même déroutant) et Sally tombe enceinte. Immédiatement. Et le conte de sombrer dans l’horreur absolue grâce à la différence de ton entre la narration et les images. D’un côté les illustrations nous montre des images absolument ignobles, dont l’aspect body horror dépasse même ce que Cronenberg à osé faire avec sa Mouche, de l’autre le personnage principal semble relater une banale histoire de mariage voué à l’échec en raison d’une grossesse difficile. Si l’on en croit ce qu’elle raconte, Sally est victime d’une dépression post-natale suite à l’arrivée précoce de son enfant et finira par divorcer en réalisant qu’elle est une mauvaise mère et épouse.

 

 

La jeune femme culpabilise sur ses propres sentiment, expliquant n’avoir jamais aimée son enfant, ne s’être jamais occupée de lui et avoir préférée vouloir retrouver sa silhouette de jeune femme d’autrefois. Son récit se conclu sur une séparation puisque Sally déclare qu’elle n’a pas le droit de faire souffrir Albert ainsi. Elle aurait ensuite fini par errer jusqu’à se retrouver dans la Maison, où elle se sent plutôt bien vu l’accueil chaleureux qu’elle a reçue, et espère maintenant s’absoudre de ses péchés et redevenir quelqu’un de bien. Les graphismes montrent une situation bien différente et sont pour le moins percutant. Nous y retrouvons Sally malade et dans un sale état après sa relation sexuelle, ressemblant à une victime de viol avec ses cheveux en bataille, ses vêtements déchirés et les traces de lutte visible sur sa peau. Elle vomie, se sent mal et… son petit corps explose sous l’émergence de dizaines de larves qui lui sortent du dos ! Albert n’est visible nulle part, ni pour elle qui l’appelle à l’aide, ni pour les “petits” qui finissent par devenir des moucherons trainant près du cadavre décomposé de leur mère. Il y a ainsi plusieurs niveaux de lecture et d’interprétation à cette histoire et il est difficile de savoir où se positionner.

 

 

D’un côté The Hollows fonctionne très bien comme simple petite histoire d’horreur surréaliste, où la “Sally” de la Maison pourrait être un fantôme ou quelque chose du genre. On peut également se concentrer sur les dires de la narratrice qui se perçoit comme un monstre de vanité, ayant créée un véritable scandale avant de disparaître en abandonnant sa famille et ayant peut-être une vision tordue de la réalité comme le montre les illustrations. Même si d’ordinaire cela fonctionne dans l’autre sens, le narrateur pensant être “normal” quand les images reflètent la vérité qu’il n’arrive pas a accepter. Enfin il y a tout ce que l’on peut déduire à travers les dessins, les mouches représentant des prédateurs sexuels tournant autour d’une jeune femme avant de la “détruire” via une grossesse plus ou moins forcée. Cela expliquerait l’absence d’Albert dans les moments détresses de Sally et la destruction du corps de la jeune femme, qui devient quelque chose de dégoutant comme tout ce qui se trouve dans le village. Dans tous les cas The Hollows fonctionne sur l’impact, qu’il s’agisse de la répulsion engendrée par les mouches, de la mort atroce de l’héroïne ou de ses propre mots qui ne sont pas tendres: elle se considère comme vaniteuse, creuse, horrible, ne valant rien, et refuse d’excuser son comportement de quelque manière que ce soit…

 

 

Même la conclusion est triste, lorsqu’elle avoue qu’elle n’est pas prête à avoir une autre relation avec un homme et que cela lui prendra du temps – et cela malgré la courtoisie et la gentillesse dont fait preuve Harry, probablement touché par son sort. Lorsque l’histoire se termine et que nous retournons au fil rouge, l’histoire principale de House of Mystery, une dernière image choquante montre ensuite pourquoi la jeune femme mange sans arrêt: si son apparence parait normale vu de devant, elle est en fait totalement creuse à l’intérieur (hollow) et la nourriture qui entre dans sa bouche tombe du trou qu’elle a dans le dos. Par décence, Harry lui conseillera d’inventer ses récits à l’avenir, de moins s’exposer, et lui offre sa propre table dans le fond du restaurant, la plaçant dos au mur pour la cacher du regard des autres… Un drôle de choix que cette histoire plutôt abstraite pour ce premier numéro, dont le côté anthologie horrifique était jusqu’ici bien plus classique dans ses sélections. Sans doute une manière de légitimiser l’aspect “adulte” du label Vertigo et de revisiter le titre sous un angle différent, plus moderne et plus permissif qu’autrefois. Dans tous les cas cela fait pour un point de départ remarquable, ce premier numéro était tout sauf ennuyeux et conventionnel !

 

 

Ce revival durera plusieurs années, s’arrêtant définitivement en 2011. La Maison n’a cependant pas définitivement fermée ses portes puisqu’elle existe toujours au sein du DC Universe classique, qui a récemment intégré Vertigo à sa continuité. Cette incarnation reste sans doute la plus intéressante à suivre et fait une excellente introduction à la Maison des Secrets pour quiconque serait tenté de s’y intéresser. Concluons avec un petit mot pour les illustrateurs, qui y sont aussi pour beaucoup dans la réussite de House of Mystery. La trame générale est dessinée par Luca Rossi, qui est particulièrement doué pour peindre des personnages expressifs et attachants. Malgré la foule bigarrée qu’il doit représenter, il arrive à rendre les habitants suffisamment différent les uns des autres pour mettre en valeur ce côté “interdimensionnel” de la série. L’œil attentif pourra même identifier Manchester Black dans le restaurant, adversaire british-punk occasionnel de Superman. The Hollows est illustré par Ross Campbell – à ne pas confondre avec Sophie “Ross” Campbell, ayant parfois travaillée sur les mêmes séries, ni Ross A. Campbell, qui est encore quelqu’un d’autre ! Il trouve le moyen de mêler la beauté (sa Sally ressemble à un personnage de Margaret Keane) et la répugnance au sein des mêmes cases, même s’il garde un certain sens de l’humour comme le prouve cette grosse mouche portant un beau chapeau, perdue quelque part dans un arrière-plan !

Enfin, l’immense Bernie Wrightson, qui avait débuté comme illustrateur sur la série originale (#179, The Man Who Murdered Himself), a apporté sa contribution via une variante de couverture. Une manière pour lui de rendre hommage au titre qui a lancé sa carrière.

 

 

 

   

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