The Vault of Horror #30 – Who Doughnut ? (1953)

ROAD TO HALLOWEEN IV

 

 

The Vault of Horror #30

Who Doughnut ?

(1953)

 

 

J’ai toujours voulu trouver une excuse pour parler de cette histoire. Pas de la série The Vault of Horror en générale, pas même de ce 30ème numéro dans son entier, juste cette petite histoire. Ce n’est ni une des meilleures, ni une des plus graphiques ou des plus drôles, et en fait c’est tout le contraire ; Who Doughnut ? est l’une des plus anecdotiques, des plus poussives et des plus oubliables contributions aux titres Horreur des EC Comics. A la lire, on est même en droit de penser que c’est le genre de truc avec quoi on se retrouve quand les scénaristes n’ont plus d’idées, improvisant n’importe comment pour atteindre leurs quotas ! Publié dans le numéro d’Avril / Mai 1953, ce conte est pourtant écrit par Bill Gaines lui-même (le patron d’EC et créateur de la branche horrifique de sa compagnie) et illustré par le légendaire Jack Davis – avec peut-être une contribution de Al Feldstein dans l’un ou l’autre des départements puisque c’était à son tour de jouer l’éditeur cette fois-ci (le superviseur si vous préférez). Il fait cependant pâle figure au regard de ses voisins de papiers, dont Split Personality qui sera adapté dans la série télé HBO avec Joe Pesci, et le sympathique Practical Choke a qui le magazine dédie sa couverture (des étudiants en médecine s’amusent à piquer des morceaux d’un cadavre légué à la morgue afin de faire de mauvaises blagues dans toute la ville… jusqu’à ce que ce qui reste du cadavre se rebelle !). Seul Notes to You paraît tout aussi oubliable, ne valant que pour sa conclusion visqueuse. Who Doughnut ? le surpasse cependant grâce à un titre calembouresque limite honteux et le caractère extravagant de sa menace. Tellement fou que cela reste en mémoire. Tellement, que j’ai toujours voulu en parler un jour.

 

 

Cet Halloween en est l’occasion parfaite, et encore plus étant donné ma dernière chronique en date (l’épisode Squid du Punisher de Garth Ennis), forcément raccord avec celle-ci comme nous le verrons plus tard. Déjà un mot sur le titre, Who Doughnut ? (littéralement “Qui beignet ?”, oui, oui comme le gâteau), en fait un jeu de mots bien minable avec le terme “Who [has]done it ?” (Qui l’a fait ?” ou “Qui est coupable ?”) alias Whodunit, un style de roman policier dans lequel on ne connait pas l’identité du criminel avant la fin. Pourquoi “Doughnut” ? Tout simplement à cause des étranges mutilations que le tueur de cette histoire laisse sur ses victimes. L’intrigue s’intéresse à une vague de crimes qui laisse la police dans l’embarras. Sept victimes en un mois, toutes des femmes retrouvées exsangues et le corps couvert de blessures rondes comme des anneaux. Autre détail: les cadavres sont imprégné d’eau salé, laissant croire que l’assassin est un pêcheur. Ce n’est pas l’avis du reporter Danny Hughes, qui couvre l’évènement. Pour lui le coupable est un vampire ! Cela explique pourquoi les victimes ont été vidée de leur sang et pourquoi il échappe aux autorités si facilement. Son seul problème reste les blessures rondes inexplicables, qui ne sont pas raccords avec la mythologie des Nosferatus. Hughes s’implique encore plus dans l’enquête après qu’une de ses collègues ne trouve la mort, alors qu’il l’avait raccompagné chez elle ce soir là. Son chemin avait justement croisé celui d’un sinistre individu qu’il n’a hélas pas pu détailler, caché derrière un imperméable et un grand chapeau. Traquant le monstre, il fini un soir par le retrouver et le poursuit jusque dans son repaire: l’aquarium de la ville !

 

 

La conclusion, bien amenée, le montre errer entre les bassins rempli de poissons exotiques sans retrouver le fugitif. Jusqu’à ce que la déclaration d’une survivante ne lui revienne en tête, celle-ci expliquant que le tueur était arrivé derrière elle en lui attrapant les poignets de ses mains gantés, tandis qu’une autre s’était plaquée sur sa bouche. Trois mains au total. Le journaliste réalise avec horreur l’identité du coupable lorsqu’il tombe sur un aquarium vide. Devil Fish, dit l’écriteau. Autrement dit, une pieuvre ! Et la créature de l’embusquer, l’emmêlant dans ses tentacules, ses ventouses laissant des traces rondes comme des donuts sur sa peau tandis que de minuscules dards le percent pour lui sucer le sang… La dernière image, surréaliste, d’une pieuvre géante laissant derrière elle son costume d’humain, est probablement l’une des plus marquantes que j’ai pu voir dans tous les EC Comics. Absolument pas choquant, mais inattendu, ça oui ! Le simple fait d’imaginer la vie quotidienne de ce poulpe dément met mon cerveau sens dessus-dessous. Imaginez un peu la bête vivre paisiblement dans son aquarium de jour, avant de sortir discrètement la nuit, enfilant manteau, chapeau et des gants au bout de chaque tentacules dans l’espoir de camoufler autant que possible son apparence. Cela n’a absolument aucun sens et c’est ce qui rend cette histoire absolument géniale !

 

 

J’aime comment certaines idées prennent effectivement racine dans le véritable fonctionnement des pieuvres, comme leur grande intelligence, leur capacité à s’extraire des bassins et même de ramper au sol hors de l’eau et l’utilisation d’un déguisement, les céphalopodes étant comme des caméléons, changeant de couleur pour mieux se cacher ou chasser. Et puis d’un autre côté il y a cette histoire de dards qui absorbent le sang des proies, totalement inventé et semblant juste être là pour justifier la fausse piste du vampire dans la première partie. Le monstre n’a aucune motivation (n’est-il pas bien nourri à l’aquarium ?) et on ne peut même pas expliquer son comportement en lui donnant l’excuse d’être un monstre marin ou une créature surnaturelle… Même son modus operandi ne semble pas avoir de sens: lorsque la police évoque la présence pêcheurs dans les environs, ceux-ci étant suspects durant l’enquête, on pourrait imaginer que le poulpe retournerait à l’océan une fois ses méfaits accomplis afin de ne pas se faire prendre. Encore plus s’il fut capturé et placé en aquarium, lui donnant une raison de détester les humains. Mais non. Il faut juste accepter l’idée qu’une créature marine a un jour décidée de jouer les Jack l’Éventreur, ne s’en prenant qu’aux femmes, les attaquant même à domicile, tout en poursuivant sa vie d’animal pépère le reste du temps !

 

 

Ce concept justifie à lui seul la lecture de Who Doughnut ? et représente parfaitement l’esprit déconneur de William Gaines et de toute son équipe. Difficile de croire qu’ils furent réellement suspectés de pervertir la jeunesse américaine au point qu’un procès de grande instance ait eu lieu ! Pour ma part, je range ces sept petites pages parmi ce que j’ai lu de meilleur à travers les trois titres d’EC Comics. Parfois le gore et le morbide peuvent se faire voler la vedette par un tout petit gag stupide juste parce que celui-ci est fun. D’ailleurs le fou rire se poursuit après le twist ending puisque le Cryptkeeper (car bien que figurant dans les pages de The Vault of Horror, la présente histoire est frappée du sceau The Crypt of Terror, les trois GhouLunatics ayant l’habitude de s’inviter les uns dans les pages des autres) y va de son humour noir habituel pour conclure. On y apprends donc que la pieuvre s’appelle Oscar est qu’elle continue de se promener parmi nous (méfiance si quelqu’un vous tapote l’épaule), tandis que Hughes aura quand même pu écrire son dernier texte… dans la rubrique nécrologique de son propre journal ! Forcément après ça on en redemande, et cela montre bien pourquoi les Tales From the Crypt, Vault of Horror et Haunt of Horror ont marqué tant d’esprits, s’assurant une reconnaissance éternelle même bien après leur triste disparition…

 

 

Publié en son temps dans The Vault of Horror #30, Who Doughnut ? a connu plusieurs réimpression au fil des ans. Comptons The Vault of Horror #4 en 1982, réédition chez Russ Cochran, puis Vault of Horror #19 en 1997, chez Gemstone. Plus récemment, et pour désigner une édition ultime, l’histoire est incluse dans la volumineuse compilation The EC Archives, qui reprend l’intégralité de la collection dans une qualité d’impression optimale puisque conçue à partir des illustrations d’origine. Dans le cas qui nous intéresse, voyez The Vault of Horror T.4, qui regroupe les numéros 30 à 35 de la série. Notes pour les puristes: pour le conforts des yeux, c’est de cette édition que sont extraits les images qui accompagnent la chronique, forcément plus plaisantes que les scans de la revue d’alors. Puisque les dessins en noir et blanc, avant le passage à la couleur / censure de Marie Severin, furent utilisés dans un soucis de qualité, l’éditeur a recoloré digitalement chaque histoire car ne pouvant exploiter les planches finales d’époque, d’une résolution plus basse. On y perd certes en authenticité, mais l’éditeur a tenu à suivre le style de Severin autant que possible. C’est tout à son honneur, et cela permet de ne pas avoir à présenter un comparatif assommant entre les différentes versions.

 

 

 

   

A gauche l’original de 1953, à droite la version restaurée de 2015

YOU DUMB DICK !

 

           

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