Joel Schumacher (1939-2020)

 

Il y a presque deux semaines nous apprenions avec surprise la disparition du réalisateur Joel Schumacher, tristement décédé du cancer ce 22 Juin. Avec surprise non pas en raison des causes de sa mort, mais plutôt de son grand âge puisqu’il nous a quitté à 80 ans. Et oui, le bonhomme était bien plus vieux que l’on croyait, ayant en fait débuter sa carrière durant les Seventies comme scénariste et costumier pour quelques comédies musicales après avoir été un temps fashion designer. Car Wash, Sparkle, The Wiz… Tout de suite cela explique beaucoup de choses quant à l’esthétisme de ses tristement célèbres Batman, films pour lesquels la plupart se souviendront de lui. Mais avant d’en arriver là passons un instant par la case du cinéma d’exploitation, car s’il n’y avait pas plus hollywoodien que lui comme réalisateur, il y avait aussi trainé ses guêtres et ne l’a jamais complétement quitté en vérité.

 

 

Outre le téléfilm catastrophe La Révolte des Abeilles, où il commença comme production designer en 1974, il remplaça John Landis au pied levé sur The Incredible Shrinking Woman, pseudo reprise au féminin du classique de 1957 où l’on peut retrouver le génial John Glover et même Rick Backer dans un petit rôle. Il y a aussi D.C. Cab, délirante comédie façon Revenge of the Nerds tournant autour d’une compagnie de taxi, avec entre autre Mr. T et Gary Busey. Alors bien sûr il fit ensuite son grand saut dans les major companies et sa filmographie semble a priori ne comporter que de titres bien marquant des années 80 et 90. Des œuvres réputées, parfois cultes, conformes en tous points aux grands standards de leur époque et portées par un casting de célébrités. Des films parfaits pour maman en gros, acceptables mais souvent bien banales et sans aucunes prises de risques. De la guimauve très bien enrobée qui fait son office.

 

 

Citons le film qui l’a projeté sous les feux de la rampe, St. Elmo’s Fire, qui met en scène une partie du célèbre Brat Pack formé dans Breakfast Club avec ici l’ajout de quelques valeurs sûres (Andi MacDowell, Demi Moore, Robert Downey Jr.), la comédie romantique Cousins, remake de notre Cousin Cousine national, ou encore Le Droit de Tuer, thriller procédurier sous fond de racisme avec Samuel L. Jackson et Matthew MacConnaughey. Le pleurnichard Le Choix d’Aimer, véhicule pour Julia Roberts qui tombe amoureuse d’un beau jeune homme hélas condamné par une maladie. De bons sentiments il en est encore question dans Personne n’est Parfait(e), où un Robert DeNiro homophobe fini par accepter la différence au contact d’une drag queen qui  l’aide à surmonter un handicap. Tigerland traite de l’habituel drame humain au cours de la guerre du Vietnam, Bad Company est un horrible buddy movie réunissant Anthony Hopkins et Chris Rock et Veronica Guerin s’intéresse à l’histoire vraie d’une courageuse journaliste assassinée par la pègre irlandaise.

 

 

Je passe sous silence Effraction, thriller avec Nicolas Cage et Nicole Kidman produit par Millénium Films que je n’ai pas vu, mais il semble claire qu’entre les genres choisis, les thèmes véhiculés et les acteurs sélectionnés, Joel Schumacher pourrait passer pour un yes man tant ses productions sont calibrées pour appâter le grand public et ne provoquer rien d’autre qu’un divertissement poli et moralisateur. Mais surprise, le metteur en scène contrebalança cette carrière ordinaire avec une autre bien plus intéressante,  plus osées et plus fun. Et fait c’est même avec régularité qu’il alterna entre les deux, sautant du cinéma classique à celui de genre comme s’il ressentait le besoin de se défouler. Le meilleur exemple est évidemment Génération Perdue, comédie horrifique qui dépoussiérait le vieux mythe du vampire pour l’adapter aux cool années 80. Sympathique même si le film massacre un concept original bien plus intéressant (des gamins vampires refusant de grandir et transformant d’autres enfants pour créer une version maléfique des Enfants Perdus de Peter Pan !) au profit d’un humour un peu balourd.

 

 

Mais bon, Tim Cappelo y joue du saxo en se déhanchant comme un malade sur son hit I Still Believe, et c’est le principal. L’air de rien, voilà qui préfigure là encore Batman Forever et Batman & Robin et c’est à se demander pourquoi nous fûmes si surpris. De son côté L’Expérience Interdite reste d’un sérieux mortuaire imperturbable, avec son idée de tromper la mort et la frôler au plus possibles, pour ensuite devoir se confronter à nos peurs les plus profondes qui ressurgissent sans crier gare suite à l’expérience post-mortem. La chose est un peu surévaluée, assez molle à notre époque, et le casting impressionne plus que le scénario (Julia Roberts, Kiefer Sutherland, Kevin Bacon, Oliver Pratt et un Baldwin) mais ça se laisse suivre. On lui préfèrera amplement Chute Libre, l’une des plus grandes œuvres de Schumacher et pur film d’exploitation à peine remodelé pour lui donner des allures de Série A  convenable.

 

 

Un citoyen modèle pète un plomb après avoir tout perdu, incapable de comprendre pourquoi la société pour laquelle il s’est totalement dévoué lui a tout prit avant de le jeter comme un kleenex, et il se rebelle alors contre le système, envoyant chier autant les fonctionnaires que les voyous, les grands fast food que les petits commerçants voleurs. Michael Douglas y trouve là un de ses meilleurs rôles, et l’une de ses répliques finales reste encore longtemps en tête après le générique de fin: “I’m the bad guy ?“. Clairement un film en danger vu l’état actuelle de notre société, que les groupuscules bien pensant iront lyncher pour toutes les raisons imaginables à la manière du plus récent Joker, qui traitait de thèmes similaires. Tout l’opposé de Batman Forever en fait, qui aseptise et infantilise à mort le matériau de base proposé par Tim Burton. L’univers sombre du Chevalier Noir devient fluo et festif, à la manière de ces foutus comédies musicales.

 

 

Remettons toutefois les choses dans leur contexte: ceci est principalement la faute des producteurs, qui ont expressément demandé à Schumacher de tourner une publicité géante destinée à vendre des tas de jouets. Car lorsque le premier film débarque en 1989, la Batmania s’empare du monde et la Warner est totalement décontenancé, ne s’étant pas préparé à ce succès et n’ayant aucun produit dérivé à vendre ! La compagnie compte se rattraper avec Batman Returns, développant tout un tas de merchandise à l’avance… sauf que le film sera jugé trop noir (la première scène montre quand même des parents balancer leur bébé à la rivière pour s’en débarrasser) et les familles ne se précipitèrent pas vraiment en salles ni dans les rayons jouets. Le terme “toyetic” fut ainsi inventé par les producteurs pour expliquer au cinéaste ce qu’on attendait de lui: balancer à l’écran des tas de Batmobiles et Bat costumes différents, avec toutes les couleurs d’un magasin de bonbons pour charmer les marmots.

 

 

Le script est torché (les origines d’Harvey Dent sont expédiées en deux secondes), les acteurs ne sont pas dirigés (Tommy Lee Jone confond Two Face avec le Joker, Jim Carrey refait The Mask), les effets spéciaux sont en plastique et les rajouts comme Robin ou les nouvelles technologies ne collent pas du tout au design original. Bref, c’est un massacre, mais pas autant que ce qui viendra par la suite et reconnaissons au moins le carton que fut le tube Kiss From a Rose de Seal, utilisé pour la promotion. Batman & Robin n’a lui aucune excuse, torpillant la franchise et ne ressemblant à rien d’autre qu’à un gros char de défilé paradant en pleine Gay Pride. Le résultat fait honte au génial dessin animé de la même époque, Batman: The Animated Series, et le personnage de Mr. Freeze notamment y passe du rang de figure tragique à celui d’insupportable bouffon adepte du calembour. Voir Michael Gough et Pat Hingle se perdre dans ce naufrage fait peine à voir…

 

 

8mm viendra rattraper tout ça, thriller horrifique simple mais effectif où Nicolas Cage et un jeune Joaquim Phoenix enquêtent sur un film snuff qu’ils prennent d’abord pour une arnaque avant de réaliser avec horreur qu’il est on ne peut plus réel. La descente aux enfers du protagoniste, qui n’arrivera jamais à comprendre le pourquoi de la chose même en se confrontant aux coupables, est assez marquante notamment dans le final où il décide de rendre justice à une inconnue dont absolument tout le monde se fout sauf lui. Thriller encore avec Phone Game, de facture bien plus classique mais écrit tout de même par Larry Cohen, légendaire réalisateur du Monstre est Vivant et d’Épouvante sur New-York que l’on ne présente plus. Efficace à défaut d’autre chose, à une période où le terrorisme commence à gangrener le monde de manière répétitive et où les drames impliquant des tireurs fou deviennent hélas de plus en plus fréquents.

 

 

Le Fantôme de l’Opéra est lui par contre un échec complet à tous les niveaux. Le fait est que Schumacher n’adapte pas le roman original contrairement à toutes les versions précédentes, mais la populaire comédie musicale de Broadway, qu’il tente de retranscrire ici en dépit du format et du bon sens. C’est nul, terriblement long, les chansons sont insupportables et la chorégraphie ne supporte pas toujours la transition. Pas plus de succès avec Le Nombre 23, thriller paranoïaque partant d’un concept simple mais prometteur: un type découvre que le nombre 23 apparait d’une façon ou d’une autre à travers toutes les dates et évènements auxquels il peut penser, et fini par perdre pied avec la réalité en tâchant de découvrir pourquoi. Intéressant, sauf que cette folie n’est qu’un point de départ et le script s’enlise ensuite sur une intrigue de film Noir à base d’amnésie et de double identité, jetant aux orties tout ce qui pouvait attiser la curiosité du spectateur.

 

 

Enfin il y a Blood Creek, film d’horreur premier degré traitant de magie noire, de zombies et de Nazisme. Il réuni Henry Cavill, Michael Fassbender et Dominic Purcell dans une ferme isolée qui se retrouve attaquée par un SS mort-vivant. De la pure Série B saignante et dynamique que je n’ai cependant pas vu et dont je ne peux rien dire. Pas grave, ça a l’air totalement dans mes cordes et le sujet suffit à montrer que Joel Schumacher était double. Derrière sa façade de metteur en scène académique filant droit, il était en réalité plus fou, plus anarchiste qu’on ne le pensait, aimant shooter des monstres et foutre en l’air l’ordre établit. Fier homosexuel, il s’était d’ailleurs vanté d’avoir couché avec plusieurs milliers d’hommes, pour un tableau de chasse situé entre 10.000 et 20.000 amants ! S’il avait été hétéro on l’aurait sans doute traité de prédateur, et cela explique peut-être pourquoi il était double. Dommage que cet aspect de sa personnalité n’ait pas guidé un peu plus sa carrière finalement, mais le bonhomme était certainement soucieux de son image et de pouvoir continuer à œuvrer chez les grands…

 

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