Jaws 19 (2015)

 

Jaws 19

(2015)

 

 

C’est aujourd’hui que sort “l’attendu” Jaws 19 et je ne pouvais pas faire l’impasse dessus. Naturellement beaucoup on tout simplement laissé tomber la franchise depuis un bon moment et Universal le sait très bien, sortant ce nouvel opus en salle uniquement parce que le fils du créateur original en est à la barre. De quoi assurer une belle promotion, conforter les fans et même embobiner le grand public en racontant que le talent est héréditaire. De quoi jouer avec la mode nostalgique actuelle également, et annoncer pour la énième fois que cette séquelle est le “véritable héritier” de l’original, chef d’œuvre du cinéma.
Mais personne n’est dupe et tout le monde s’en fout, à commencer par Max Spielberg lui-même qui s’en moque bien de la saga Dents de la Mer. Ce qu’il veut c’est simplement passer son baptême du feu et montrer aux autres que lui-aussi, malgré son jeune âge, a les épaules assez solide pour diriger un blockbuster. C’est le défi technique qui l’intéresse, l’acte de diriger le projet en supervisant chaque étape personnellement et se familiariser avec les nouvelles technologies développée par Tonton Lucas. Comment, sinon, expliquer la tagline du film, parodiant ouvertement celle du Jaws: The Revenge de triste mémoire ? L’heure n’est pas à la vision artistique, certainement pas arrivé à un N°19, et le réalisateur en est parfaitement conscient.
Spielberg fils n’en s’en cache pas et ses interviews vendent la mèche: ce nouveau Jaws n’est pas tant une nouvelle entrée dans la série qu’un prétexte pour expérimenter. Parrainé par George Lucas comme James Cameron, le débutant cherche avant tout à viser gros, faire la nique à la 3D atmosphérique de l’un en développant son Holomax, et au CGI tout lisse de l’autre, en reprenant le monstre caoutchouc – et les difficultés qui vont avec – sur le tournage.

 

 

Concernant les délires holographiques, je serais bien en peine de vous dire s’ils valent le coup car j’ai préféré une vision “plate”. Nous connaissons tous la pub, nous avons tous vu ce requin terriblement faux apparaître devant les salles de cinéma pour faire semblant de croquer les spectateurs: c’est moche, on y croit pas et le gimmick pourtant nouveau semble déjà dépassé. Toutefois pour en rassurer quelques uns, je préciserai juste que cette version publicitaire ne disposait pas du même budget que sa version cinéma, et que les effets visibles dans le film paraissent à priori beaucoup plus peaufinés. Plus que ça, le “faux” requin aux yeux globuleux ne représente en fait pas le monstre de Jaws 19, mais son double holographique de fiction, justement conçu volontairement comme parodique. Car oui, pour marquer le coup Spielberg n’emploie pas que l’Holomax comme juste une pratique visuelle et l’intègre directement dans le récit, où il s’agit (égo surdimensionné oblige) d’une technologie révolutionnaire qui a changé la vie des habitant de Amity Island.
L’intrigue se déroule en effet dans une cité sous-marine, une île artificielle immergé en hivers et ne faisant surface que lors de la saison estivale. Au passage on peut apprécier cette continuité avec l’opus précédent, où Amity avait été rasée par le tsunami crée par l’armée pour se débarrasser du grand blanc. Afin que le quotidien des habitants ne soit pas trop morose, à voir toujours les mêmes fonds marins par les baies vitrées, un scientifique nommé Bruce (gros clin d’œil à venir) a inventé tout un système d’hologrammes programmables pour donner un aspect plus chaleureux à la station. Pensez au système du Solido dans Aliens, ou à l’Holodeck de Star Trek.

 

 

La ville se divise maintenant en différentes zones en forme de globes de verre, toutes reliés entre eux par des tunnels, et chacune peut afficher un style totalement différent: jungle tropicale, prairie verdoyante, cité urbaine à ciel ouvert, etc. Cela permet de varier les décors monotones et éviter à Jaws 19 de ressembler à n’importe quel films de couloirs, mais surtout d’injecter un peu de sang neuf dans les attaques du squale, lequel, étant un véritable animal, apparait dans des endroits totalement incongrus lorsqu’il pénètre dans une Sphère: son aileron est visible en plein milieu d’une route, la surface de l’eau étant remplacée par une simulation de bitume, sa gueule béante apparait du désert, en une sorte d’imitation du Sarlacc du Retour du Jedi
J’imagine qu’en Holomax, chacune de ces scènes doit paraitre impressionnantes si correctement réalisées, et donner enfin la sensation que les objets qui apparaissent devant nos yeux sont bel et bien là. Soyons clair, malgré son avancée technologique la 3D de James Cameron n’était rien de plus qu’une distanciation avant-plan / arrière-plan et n’allait jamais plus loin que ça. Ici au contraire, les éléments se détachent véritablement de l’écran afin de se présenter dans les airs juste au-dessus de vos têtes. Et cela, c’est indéniablement bien plus impressionnant. Peut-être pas de quoi révolutionner le monde du cinéma si vous voulez mon avis, car les films vont progressivement juste ressembler à du théâtre où les acteurs seront remplacés par des personnages virtuels, mais je reconnais l’ambition derrière le procédé.

 

 

De façon plus intéressante, cela permet les meilleurs scènes de Jaws 19 en étant intégré à cet univers de science-fiction. Puisqu’il est impossible d’inventer quoique ce soit de nouveau à ce stade, les attaques “ordinaires” sont maintenant renforcées par leur mise en scène en trompe-l’œil (tant pour nous que pour les protagonistes) et le spectacle est réjouissant: un personnage est coincé dans une zone “parc d’attraction” et se retrouve prisonnier d’un labyrinthe à miroirs, où lui apparaissent tant sa propre réflexion que celle du grand blanc qui rôde dans les parages, et jamais il ne peut savoir si devant lui se trouve une sortie ou une vitre que l’animal pourrait défoncer d’un coup de museau.
A ce titre, la scène d’ouverture est très amusante. Elle se déroule sur une plage, prenant le point de vue d’une belle jeune femme qui bronze en regardant la mer. D’emblée on se met à scruter l’océan également, guettant la présence du requin, mais ce que l’on ignore ce qu’il s’agit d’un faux paysage et que tout l’endroit se trouve en réalité sous la mer. Et donc c’est le ciel qu’il fallait surveiller, la tête du requin apparaissant à travers les nuages lorsqu’il se cogne contre la paroi de la Sphère, espérant pénétrer à l’intérieur pour dévorer les résidents !
Plus tard intervient alors le fameux double holographique du requin, piloté en fait par Bruce, le scientifique, et qui sert de mascotte aux habitants d’Amity Island ! Une parodie du monstre qui règne sur les lieux, à la base prévue pour habituer les enfants et permettre aux adultes de prendre les choses aux seconds degrés. Lorsque le véritable grand blanc s’introduit dans la ville, inondant les couloirs et utilisant ces derniers pour passer d’une zone à l’autre, cela devient un problème pour les protagonistes (visiblement trop cons pour faire la différence entre un vrai animal d’un faux) et provoque des quiproquos meurtriers. L’occasion aussi de quelques jump scares faciles, mais Spielberg père en avait fait quelques uns dans l’original, alors pourquoi pas.

 

 

Le meilleure exemple est celui où les héros refusent de traverser un endroit inondé sous prétexte qu’ils ont aperçu l’aileron du squale. Un courageux tente sa chance et se retrouve surpris par l’hologramme. Rassuré, il commence à prévenir ses amis tandis que le faux requins se désactive sous son nez… Pour révéler immédiatement le véritable requin, qui se trouvait exactement au même endroit ! Bruce, le savant, devient ainsi le pendant de “Bruce” le requin (pour les trois qui ne savaient pas, ce prénom a été donné au squale durant le tournage du premier Dents de la Mer) et va malgré lui mener quelques personnes à leurs morts, avant d’essayer de tromper le monstre en incarnant aussi justement que possible le comportement animal du grand blanc.
Le clou du spectacle repose encore une fois sur cette illusion virtuel / réalité, avec l’intrusion du requin en plein dans un spectacle de reconstitution… Celui du naufrage de l’USS Indianapolis ! Et les pauvres participants se retrouvent alors incapable de savoir si ce qui arrive à leurs collègues est une véritable attaque où une simulation. Spielberg, s’amusant comme un petit fou, fait une sacrée mis en abime en dirigeant un acteur qui joue un comédien interprètant un soldat de la Seconde Guerre Mondiale, qui n’est autre que… Un jeune Quint ! Et le personnage de s’en sortir de justesse et de déclarer que, comme le vrai, plus jamais il n’osera porter un gilet de sauvetage de sa vie !

 

 

Bref, en ce qui concerne l’Holomax et les promesses d’une ville futuriste sous-marine, Jaws 19 ne ment pas et utilise tous les moyens à sa disposition pour nous divertir. Le film n’est pas exempt de défaut, mais vu qu’il s’agit de la dix-huitième séquelle d’un classique remontant à plus de quarante ans, il me semble peu important de les évoquer. Comme toujours il y a une continuité chaotique, où certains opus sont référencés mais pas d’autres, et on trouve quelques redites, la simple idée de la cité sous l’eau semblant reprise au parc d’attraction des Dents de la Mer 3 (en 3D ! Un hasard ?). Certains iront sûrement se plaindre du grand requin blanc lui-même et décréter qu’il fait “faux”, mais ceux-là sont certainement les mêmes qui considèrent que Gollum est réussi dans Le Seigneurs des Anneaux, incapables qu’ils sont de reconnaitre quand les CGI sont moches et quand le trucage oldschool reste supérieur.
On frôle parfois l’overdose de clins d’œil et de référence à Steven Spielberg, Amblin et consort (montrer le requin défoncer une affiche de Jurassic World était-il nécessaire ?) mais ce n’est pas comme si le réalisateur se concentrait vraiment sur son intrigue, et le suspense est totalement fabriqué puisque se reposant surtout sur la technologie moderne plutôt que sur une véritable mise en scène. Mais là encore, on parle de Jaws 19 et il faut déjà s’estimer heureux d’y trouver un peu d’originalité (dois-je mentionner l’ignoble Jaws: Ultimate Predator ? Ou le multi-reboot Jaws: Unleashed ?).
On ne va pas se mentir, le film sera sans aucun doute démolis par la critique. “Jaws without bite” a dit le journal USA Today. Lorsqu’on prend en main une franchise qui en est presque à vingt films (un record en soit), il ne faut pas s’attendre à ce que l’opinion public soit positive et les spectateurs auront tendance à se moquer de vous plutôt que de juger l’œuvre par elle-même (combien ont abandonnés Saw avant même son “épisode final”, trop dépité que la série ait pu survivre à l’antagoniste lui-même ?).

Pourtant il est indéniable que Max Spielberg n’a pas commis un mauvais film. C’est un “faux” film, certes, simple prétexte pour toucher à des gadgets hors de prix et se faire une expérience facile dans le milieu très privé d’Hollywood, et on peut sans problème boycotter cette production pour cela. Toutefois en tant que série B fun, assumée et inventive, Jaws 19 se pose là. J’imagine que le résultat ne satisfera qu’un public restreint de Bisseux, mais considérez l’alternative: un Sharknado 4 ? Sharktopus vs. Piranhaconda ? Giant Shark vs. Mecha King Kong ? De faux nanars conçus avec des titres débiles mais pondus comme à l’usine, dans le seul but d’attirer un public naturellement révulsé par les films d’horreur et de monstre. Non merci.
Jaws 19 est peut-être l’exemple ultime du Mal qu’Hollywood peut engendrer, mais il s’agit aussi de l’exemple ultime du divertissement que seul le cinéma d’exploitation – le vrai – peut procurer !

 

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