Dracula 3D (2012)

 

Dracula 3D

(2012)

 

 

Tout le monde le sait, tout le monde le dit, la carrière de Dario Argento n’est plus. Celui qui était autrefois le brillant metteur en scène de Suspiria et des Frissons de l’Angoisse est devenu une icône embarrassante au sein de la communauté Fantastique, l’homme n’ayant de cesse de s’enfoncer un peu plus à chaque nouveau film. Certains se moquent, certains regrettent, dans tous les cas il est devenu impossible de défendre le réalisateur italien tant ses œuvres ne valent plus rien.
S’il est difficile de dire précisément quand a eu lieu cette mort artistique (certains diront en 1985 avec Phenomena, d’autres en 1998 avec Le Fantôme de l’Opéra), il est évident que c’est au début des années 2000 que le Maestro du Giallo a définitivement perdu ses moyens. Le Sang des Innocents, Card Player, Mothers of Tears et Giallo sont autant de catastrophes qui ne laissent plus entrevoir aucun espoir pour le futur de Dario Argento au cinéma… Seules exceptions, ses deux épisodes de Masters of Horror, de simples commandes pour la télévision américaine où le cinéaste s’était tout de même bien appliqué.
Pas assez pour rassurer ses fans à l’évocation de son nouveau projet cependant, ce Dracula 3D dont le simple concept fleure bon le ridicule. Il faut dire qu’entre le souvenir peu flatteur du Fantôme de l’Opéra, un autre classique auquel s’était attaqué Argento, et l’argument bien ringard de la 3D, il n’y avait guère de quoi éveiller l’intérêt, l’annonce du film ayant plutôt provoqué le rejet que l’engouement.

 

 

Dracula 3D semble être bien parti pour être un nanar de haute volé et ce n’est pas la présence du producteur Giovanni Paolucci (responsable des derniers Bruno Mattei) qui va arranger les choses. C’est donc probablement pour faire face à cette situation qu’une équipe “prestigieuse” a été mise en place, avec l’idée de rallier les fans des heures glorieuses d’Argento: ainsi peut-on retrouver le spécialiste des effets spéciaux Sergio Stivaletti (Phenomena, Terreur à l’Opéra…), le compositeur Claudio Simonetti et Luciano Tovoli, directeur de la photographie sur Suspiria et Ténèbres, tandis que la célèbre fille du réalisateur, Asia Argento, se joint au casting.
A cela s’ajoute une présentation en grande pompe au Festival de Cannes avec tapis rouge et invités, de quoi donner l’illusion d’une œuvre épique et soignée dans la lignée du Dracula de Coppola. Le film va jusqu’à changer sensiblement de titre pour paraître plus artistique: Dracula, di Dario Argento. Comme si la vision du Maître italien sur le personnage pouvait vraiment être classieuse…
Évidemment tout ceci n’est que du vent, le résultat se révélant être des plus médiocres. En fait le film est clairement mauvais sur tous les niveaux, mais cela paraissait si évident que ça ne révolte même plus. Personne n’attendait rien de ce Dracula 3D, et sans surprise celui-ci se dévoile comme une adaptation anecdotique et sans substance.

 

 

L’histoire en elle-même est un de ces arrangements libres qui reprend quelques situations et personnages sans chercher à retranscrire la trame originale dans son intégralité. Ici pas de Quincey Morris, pas de Renfield, il n’y a qu’une seule fiancée vampire et l’intrigue ne se déplace même pas en Angleterre ! Tout se déroule dans le même village roumain, ce qui ne fait malheureusement que renforcer l’aspect étriqué du projet…
L’idée est que le Comte Dracula n’est pas intéressé pour déménager de son château. Il hante le village voisin après avoir passé un pacte avec des habitants influents, leur garantissant prospérité en échange d’une liberté d’action totale. Ainsi il sévit régulièrement, vampirisant une jolie jeune femme dès le début du film tandis que ses sbires humains veillent à ce qu’aucune rébellion n’éclate.
Débarque Jonathan Harker, un jeune homme croyant être employé par Dracula pour restaurer sa grande bibliothèque. En réalité c’est son épouse Mina que le Nosferatu convoite: elle serait la réincarnation de sa bien-aimée, morte il y a maintenant 500 ans. Alors que le Comte s’en prend à l’entourage de la jeune femme, convertissant sa meilleure amie Lucy au passage, les habitants commencent à se révolter et l’un d’eux fait alors appel à Van Helsing pour se débarrasser du vampire…

 

 

Argento et son partenaire d’écriture piochent çà et là divers éléments du livre qu’ils utilisent au profit d’une trame sans ampleur. On y retrouve un Dracula malveillant qui tente de séduire une jeune innocente avant d’être finalement vaincu par son ennemi Van Helsing, et c’est tout. On se croirait revenu des années en arrières lorsque le mythe était traité de façon bien simpliste: les personnages secondaires sont quasiment inexistant, ne laissant qu’une poignée de rôles principaux en charge, et il n’y a pour ainsi dire aucune sous-intrigue. On aperçoit de temps en temps une ébauche de développement pour certains protagonistes, comme lorsque Van Helsing explique avoir rencontré Dracula une première fois lorsqu’il était le directeur d’un asile, ou quand se dessine un triangle amoureux entre un servant de Dracula et une jolie vampire, laquelle ne comprend pas la fascination de son Maître pour Mina, mais ces éléments disparaissent pour ainsi dire immédiatement.
Même les détails touchant à la mythologie des vampires ne sont que vaguement évoqués, qu’il s’agisse de la transformation, des faiblesses ou même de l’historique de Dracula ! Seule les métamorphoses animales du Comte semblent avoir été un minimum traitées, celui-ci se changeant tour à tour en loup, en hibou, en araignée, en nuage de mouches ou encore en blatte. Remarquez que parmi tous ces nuisibles, la célèbre chauve-souris manque à l’appel et j’imagine que les scénaristes devaient se croire bien malin d’avoir détourné un tel code.

 

 

Quoiqu’il en soit cet aspect “rétro” et minimaliste – bien que ne fonctionnant pas du tout en faveur du film, car donnant l’impression d’un sévère manque de moyens – semble être un véritable parti-pris de la part d’Argento, au point que sa mise en scène paraisse parfois venir d’une autre époque. Il faut voir l’aspect théâtral de la romance entre Dracula et Mina, filmée comme tel avec de long plan fixe et des champs / contre-champ très télévisuel. Même la musique de Simonetti va dans ce sens puisque celui-ci use (et abuse) d’un effet sonore qu’on ne retrouve plus de nos jours: le sifflement d’outre-tombe ! Vous savez, cet espèce de son qui évoque les films d’extraterrestres et les cimetières brumeux des vieilles productions de la Universal.
L’effet en devient même parodique, ce qui là encore nuit fortement à la crédibilité du film, mais il devient claire que l’idée était de reproduire un film de Dracula à l’ancienne. Un hommage aux films d’épouvantes d’antan, et à ce titre les décors et costumes renvoient immédiatement à la bonne vieille époque de la Hammer. En revanche le résultat est bien loin d’avoir l’effet escompté et donne surtout l’impression que Dracula 3D se trimballe de ridicules valeurs de production dignes du petit écran.
Mais le véritable problème réside peut-être dans l’utilisation des CGI modernes, dont la simple présence vient réduire à néant le concept de base. Pourquoi donc s’acharner à reproduire un film d’un autre temps si c’est pour le garnir d’effets spéciaux résolument moderne ? D’autant plus que ces derniers sont terriblement ratés et d’un amateurisme qui fait peine à voir de nos jours ! Dire que les images ressemblent à une démo de Playstation 2 serait une critique un peu trop facile mais, pour vous donner une idée du résultat, disons que la transformation de Dracula en loup est du même niveau que l’ignoble Loup-Garou de Paris… Et une gare ferroviaire toute simple est simulée à coup de fonds verts et d’incrustations hideuses qui évoquent la Asylum dans ses pires moments !

 

 

Mais tout ceci n’est guère étonnant avec Giovanni Paolucci à la production. On retrouve bien la patte de l’homme responsable de Snuff Killer, Cannibal World et Zombies: The Beginning par le biais de petits détails qui ne trompent pas: le doublage anglais qui sonne faux, le jeu d’acteur catastrophique (attendez de voir les grimaces des vampires lorsqu’ils montrent leurs crocs), la nudité parfaitement gratuite et pleins d’autres petites choses. Comme par exemple ces grognements rajoutés en post-production pour rendre plus menaçants quelques loups tout mignons. Ajoutez à cela un générique de fin dont la musique évoque le groupe Nightwish et vous obtenez un gros nanar qui n’aurait pas fait tâche dans la filmographie de Bruno Mattei.
Laissez-moi cependant être clair sur un point. La plupart de ces défauts ne devraient techniquement pas être prit en compte sur un film d’Argento, aussi légitimes soient-ils. Rappelons-nous que le cinéaste était avant tout un artiste visuel, privilégiant généralement la forme au contenu. Le scénario de Suspiria était minimaliste, voir nonsensique sur certaines scènes, et les acteurs d’Inferno étaient abominables. Ce qui primait était la mise en scène, les angles de vues, l’esthétisme donné aux séquences horrifiques, la manière dont la musique faisait monter la tension, etc.
Hélas cela fait un moment maintenant que le cinéaste n’est plus le virtuose dont on se souvient, probablement trop vieux, trop blasé, trop brisé par les critiques qu’il n’a eu de cesse de recevoir. Ses derniers films ne possèdent plus cette patte particulière qui faisait la différence, et Dario Argento filme platement son script, sans fournir le moindre effort. Honnêtement cela aurait pu être n’importe qui d’autre derrière la caméra et on ne s’en rendrait même pas compte.
Dépouillé du “style” Argento, Dracula 3D accumule donc les tares sans pouvoir afficher la moindre qualité afin de contrebalancer. Forcément, le film se plante et justifie amplement sa triste réputation.

 

 

Que dire lorsque le cinéaste se pille lui-même, reprenant la balle tiré au ralentit de Terreur à l’Opéra, où cette scène d’Inferno où une personne en détresse appel à l’aide quelqu’un de finalement très dangereux ?
Le film se traine sur plus d’une heure et il faut attendre que Van Helsing entre en scène pour que le rythme s’accélère un peu. Entre temps les personnages n’ont pas grand chose à faire et ce pauvre Dracula en fait les frais, déclamant quelques dialogues sans que l’acteur ne sache vraiment quoi faire. Peut-être aurait-il fallu en profiter pour introduire les motivations du vampire plutôt que de les expédier au cours des cinq dernières minutes, surtout lorsque l’idée est de montrer la face tragique du personnage, qui se considère lui-même comme un monstre indigne de vivre parmi les hommes !
Quant à son adversaire de toujours, interprété par le brillant Rutger Hauer, il n’est guère mieux lotis. Le personnage traverse le film comme un fantôme et ne semble devoir sa présence que pour mettre un terme au agissement de Dracula. La faute peut-être au choix d’interprétation qui se veut à l’opposé total d’Anthony Hopkins dans le Dracula de Coppola: le tueur de vampire apparaît ici comme un homme très réservé, peu loquace et au regard fuyant. J’aimerai dire qu’il s’agit d’un choix artistique mais tout laisse à croire qu’il s’agit plutôt de la véritable réaction de Hauer sur le plateau de tournage. Le pauvre devait comprendre qu’il s’était embarqué dans une sacré galère et n’a sûrement pas jugé bon de s’impliquer plus que de raison.
De toute manière le personnage est gâché par un script mal foutu (jamais nous n’apprendront ce qui s’est passé entre Dracula et lui lors de leur première rencontre) probablement bâclé par les responsables du film.
Ainsi le scénario semble s’emmêler les pinceaux plus d’une fois, comme si différentes réécritures se mélangeaient en dépit du sens logique ! Une scène montre tout spécialement Van Helsing utiliser une croix en argent pour forger des balles, mais celui-ci déclare que c’est en fait l’ail pilé qu’il a ajouté dedans qui est efficace. Lorsque Mina se confronte à Dracula et lui reproche d’avoir tué Lucy en faisant d’elle une vampire, le Comte se défend en disant qu’il n’a fait que lui donner la vie éternelle comme elle le désirait. La jeune femme évoque alors son fiancé Jonathan, qui a subit le même sort, et Dracula de répliquer… qu’il s’est débarrassé de lui car il était un obstacle !
Plus tard encore, un forgeron, disciple de Dracula, regagne son atelier et y trouve Van Helsing en pleine création d’arme. A peine a t-il le temps de s’approcher que le tueur de vampire le met à mort. Mais si nous, public, savions que le forgeron était de mèche avec Dracula, comment Van Helsing pouvait-il le deviner ? Après tout, il aurait pu s’agir d’un honnête artisan découvrant en pleine nuit un rôdeur dans son appartement !

 

 

Perdus dans tout ce ratage, quelques éléments intéressant surnagent toutefois, propres à donner une véritable identité au long-métrage. Comme l’idée intéressante de faire une Mina une femme forte, devenant l’assistante de Van Helsing à la place de son mari, ou celle d’introduire des servants de Dracula au sein du village, espionnant la communauté à l’insu de tous pour protéger leur Maître. Un véritable climat de paranoïa aurait pu ressortir d’une telle situation, et Argento exploite presque – presque – la chose: lorsqu’une femme est assassinée à coup de hache en pleine nuit alors qu’elle tente de rejoindre la grande ville pour prévenir les autorités, à la manière d’un Giallo. Lorsqu’un fou furieux débarque sans prévenir lors d’une visite de la police au cimetière, les empêchant alors de percer le cœur d’une récente victime de Dracula…
L’inhumanité des vampires est très bien représentée quand Lucy retourne dans son tombeau, avec le corps d’une petite fille qui n’était autre que sa propre élève de piano, ou lors d’un massacre orchestré par Dracula envers les villageois rebelles. Le château du Comte dispose d’un grand escalier labyrinthique qu’Argento s’applique à rendre étrange, et lorsque la composition de Simonetti ne se limite pas aux sifflements extraterrestres ou à de la musique d’ascenseur, elle offre quelques jolis thèmes par instant (le rêve de Mina).
Autant d’éléments intéressants qui, à une autre époque, auraient pu aboutir à un Dracula, di Dario Argento certainement très différents. Un peu comme pour Le Fantôme de l’Opéra en fait, que ce film m’évoque beaucoup. On y retrouve la même romance maladroite entre le monstre et l’héroïne, les mêmes personnages secondaires inexistant, les mêmes problèmes de rythme. Dans les deux cas, l’imagerie classique du Monstre est gommée, Argento préférant les montrer sous des formes humaines. A ce titre, Thomas Kretschmann, l’interprète de Dracula, possède un physique très proche de celui de Julian Sands, au point que s’en est parfois troublant.
Enfin les deux films possèdent ces étranges moments de folies, parfaitement inexplicable, qui ne font qu’inquiéter quant à la vision artistique du cinéaste. Le Fantôme de l’Opéra avait sa voiture tueuse de rats, une machine Steampunk totalement hors-propos qui ne servait que pour une scène sans importance. Et Dracula 3D possède sa mante religieuse géante, une improbable transformation du Comte pour tuer l’un de ses ennemis. La séquence, parfaitement ridicule, nous montre alors sans aucune honte un insecte gigantesque escalader un escalier pourtant trop petit pour lui, puis décapiter une pauvre victime endormie qui ne l’aura alors même pas aperçu !

 

 

Pas besoin d’en dire plus je pense, cette dernière séquence parlant d’elle-même. Dracula 3D est un nouvel échec qui ne risque pas d’améliorer le cas de Dario Argento. Il signe là un véritable mauvais film, raté dans tous les sens du termes, et à ce niveau là mieux vaut en rire qu’en pleurer. Ce qui s’avère finalement assez facile à faire dans le cas présent.

 

4 comments to Dracula 3D (2012)

  • Jerôme Ballay Jerôme Ballay  says:

    Excellente analyse.

  • Rigs Mordo Rigs Mordo  says:

    En fait, si on voit le film en se mettant dans un esprit bis très proche de celui qu’on a quand on se fait du Mattei, ça peut devenir cool ! Mais en effet, Argento ça évoque autre-chose, on va dire… Tu vas rire, mais Alain Schlockoff a dit une fois que les derniers films de Dario Argento étaient meilleurs que ce que tout le monde dit et que si on le casse, c’est parce que c’est Dario Argento et qu’il s’est toujours fait tirer dessus. Mais je pense surtout que si on le casse, c’est au contraire parce qu’on l’a adoré et que le voir chuter si bas est insupportable…

    • Adrien Vaillant Adrien Vaillant  says:

      Schlockoff c’est clairement le mec qui dit des conneries pour se démarquer des autres. Ça irait bien avec sa personnalité. Et puis faut vraiment être le dernier des cons pour pas voir que les derniers Argento c’est vraiment mauvais. (et après ça tient un des plus gros zine de Genre, ah ben bravo tiens).

      Après il a quand même raison dans le sens où j’ai souvent lu des choses super méchante sur Argento lui-même plutôt que son travail et y a une complaisance indéniable. Rien qu’à MM par exemple où ils l’ont enterré dès Le Syndrome de Stendhal.
      Après ouais, on peut casser parce qu’on est pas content mais y en a qui font limite gros Troll et là-dessus le Schlockoff je suis d’accord avec lui.

      Mais comme tu dis, quand un mec qui était capable de faire Suspiria ou Ténèbres est même plus capable de gérer le moindre élément d’un téléfilm, tu te dis qu’il y a un problème grave quand même.

      (vivement le prochain Argento avec Michael Madsen sinon)

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