Crime Detector #5 – Ultimate Destiny (1954)

ROAD TO HALLOWEEN VI

 

 

Crime Detector #5

Ultimate Destiny

(1954)

 

 

Il est difficile d’expliquer a quel point, dans les années 50, l’influence EC Comics s’est faite ressentir à travers tout le territoire américain, au point d’attirer l’attention du gouvernement sur une industrie jusqu’ici totalement libre de publier ce qu’elle veut sans avoir de compte à rendre. Outre DC et Marvel, encore toutes jeunes, de nombreuses autres compagnies désormais oubliées ont surfer sur la vague Horreur engendrées par Tales From the Crypt et ses petits frères, chacune créant ses propres anthologies afin de copier la formule gagnante. Et parfois ces éditeurs n’avaient absolument aucune expérience dans le domaine du Fantastique ou de la science-fiction ! En résulta des magazines hybrides, versant à l’origine dans le western ou les récits policiers, et qui sans avertissement vous balançait un conte macabre très graphique. Exemple avec ce Crime Detector #5, revue de type détective / gangster qui, pour conclure son édition de Septembre 1954, embaucha l’artiste freelance Jay E. Disbrow afin qu’il lui fournisse un de ces récits terrifiants à la mode.

 

 

Et le bonhomme de s’exécuter sans se soucier le moindre du monde de la ligne éditoriale de son employeur, réalisant une histoire lovecraftienne versant dans le body horror le plus dégueulasse possible ! Artiste réputé ayant notamment fait ses armes sur Sheena, Queen of the Jungle, il était particulièrement versé dans l’horreur et le pulp à cette époque et donc l’une des personnes les plus aptes à remplir cette tâche sans avoir l’air d’un copieur désintéressé. Son histoire, qu’il écrit et illustre lui-même, s’intitule Ultimate Destiny, suivit de la mention “a study in suspense and horror” (une étude du suspense et de l’horreur) et débute avec un gimmick amusant: un avertissement lancé aux lecteurs par le protagoniste de ne pas lire cette BD sous peine de perdre la raison ! Une idée similaire à celle de Grant Morrison pour Multiversity, qui trouve écho jusque dans la narration puisque, dès la première case, le héros nous explique que si nous lisons ces lignes, cela signifie qu’il est mort. Une belle façon d’ouvrir les choses et se rapprocher du style H.P. Lovecraft.

 

 

L’auteur nous présente l’étrange affaire du Dr. Howard Channy, qui reçoit un beau jour l’appel à l’aide de son vieil ami Johnathan, tout juste revenu du Tibet. Celui-ci semble nerveux et prétend qu’un étrange changement a commencé à opérer en lui, mais le médecin ne décèle rien sur le plan physique. Lorsqu’il commence à lui demander si cette condition est liée à son voyage, l’autre refuse de répondre, terrifié. Howard suppose alors que l’état de son camarade est lié à une sorte de traumatisme, mais au deuxième examen quelques jours plus tard, il tombe découvre une métamorphose effrayante: le visage de John semble se liquéfier, symptôme d’une sorte de “rétrogression physique”. Persuadé d’être la victime d’une malédiction, l’aventurier lui raconte sa visite d’un monastère bouddhiste où se cacherait l’idole démoniaque de Karanah, une divinité accordant les souhaits de ceux qui se prosternent devant lui. Désireux de devenir immortel, il pria le monstre et obtint la vie éternelle… et tomba en même temps amoureux de la grande prêtresse.

 

 

N’écoutant que son désir, Johnathan tenta de la séduire et de la ramener avec lui en Amérique, déclenchant la colère du grand lama en charge. S’emparant d’un poignard sacrificiel, l’explorateur frappa mortellement son hôte qui eu le temps de lui dévoiler une mystérieuse vision avant de mourir. C’est cette image qui hante désormais le meurtrier, car il sait désormais qu’il vivre pour toujours sous une forme différente. Howard, pensant son ami en plein délire et victime d’une maladie de peau, s’occupera de lui pendant une semaine jusqu’au jour où le patient lui téléphone pour l’avertir de ne plus jamais revenir le voir, sa condition ayant atteint son niveau terminal. Dès lors le scénariste brise le quatrième mur et la narration nous explique que le docteur, parti en catastrophe au chevet de John, n’est jamais revenu. Elle nous déclare que l’on ne sait donc pas vraiment ce qui s’est passé, mais parce qu’il faut bien apporter une conclusion l’histoire pour satisfaire le lectorat, Ultimate Destiny ira quand même jusqu’au bout.

 

 

Une conclusion qui n’est cependant que pure conjoncture car il n’y a aucun faits pour supporter cette hypothèse ! Et Jay Disbrow de nous révéler, en une pleine page, l’état final de Johnathan, réduit à l’état d’un blob humain gigantesque, sorte de visage énorme perdu au milieu d’une masse de chair visqueuse. La chose est si grotesque que l’on ne peut que comprendre pourquoi Howard est devenu fou. En seulement six pages, l’auteur parvient non seulement à créer un mystère intéressant grâce à son introduction, mais également à se montrer à la hauteur de ce prologue rentre-dedans en dévoilant un monstre repoussant mais pitoyable qui fait surtout peine à voir. Une conclusion digne des EC Comics, du genre qui ne s’oublie pas, la surprise étant amplifié par la manière dont le dessinateur représente la créature: les larmes aux yeux, la langue bouffie et pendante, et avec ce détail saugrenu du téléphone coincé dans sa masse car ayant prévenu son ami durant la transformation.

 

 

Humour noir oblige, le monstre s’exprime naturellement malgré son apparence, et accueil le protagoniste avec politesse comme le fera n’importe qui ! William Gaines aurait apprécié. Autre source d’hilarité, moins volontaire cependant, est la façon très fantasque dont Jay Disbrow décrit la culture tibétaine. En plus de prier un monstre qui n’existe absolument pas à la place de Bouddha, les moines pratiquent apparemment des sacrifices et acceptent les femmes dans leur culte. La prêtresse se nomme étrangement Lucian, ce qui ne fait pas très local, tandis que leur lama, dont le grande n’existe certainement pas dans la réalité (Grand High Lama, autant dire une sorte de dalaï-lama), se comporte comme le ferait le prêtre d’une église de quartier. Mais qu’importe puisque tous les comics de cette époque sont coupable de cette même ignorance du monde extérieur, la moindre culture étrangère se retrouvant caricaturé à mort pour les besoins d’exotisme pulp du récit.

L’édition originale de Crime Detector #5 étant épuisée depuis des décennies, il est désormais possible de trouver Ultimate Destiny dans le premier volume de la collection Haunted Horror – The Chilling Archives of Horror Comics, éditée par IDW Publishing avec l’aide du département comic book de Yoe Books.

 

 

 

   

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