Alice Cooper: Tales From the Inside ! (1979)

 

Marvel Premiere #50

Alice Cooper: Tales From the Inside !

(1979)

 

I’m going back to the world of cheeseburgers and bowling for dollars !

 

 

Alors que nous venons d’entamer une bonne moitié de l’année 2014 et que la maison d’édition Dynamite Entertainment s’apprête à publier un tout nouveau comic-book basé sur la rock-star Alice Cooper, il me semblait intéressant de revenir en arrière pour découvrir la toute première BD adaptée de l’œuvre du Godfather of Shock Rock. Il en existe trois en fait, la plus connue étant l’excellente The Last Temptation, d’après l’album homonyme et que l’on doit à cet immense auteur qu’est Neil Gaiman (The Sandman), et la plus obscure une publication de Rock and Roll Comics, un label de la Revolutionary Comics qui s’est spécialisé dans les biographies non officielles de groupes de rock sous forme de petits comics.
Bien avant cela il y avait cet étrange Alice Cooper: Tales From the Inside !, publié par Marvel Comics en Octobre 1979. Une publication qui peut paraître incroyable, mais il faut savoir que ce n’est pas la première fois que la compagnie s’intéresse à d’autres personnages que ses super-héros. Elle fut responsable peu avant du premier comic-book inspiré du groupe KISS et s’est aussi offerte sa propre version de l’univers de Star Wars et du lézard atomique Godzilla, prenant à chaque fois d’énorme liberté avec le matériau de base !

 

 

A la lecture de l’édito en sommaire, il semblerait que les pontes de la Marvel souhaitaient obtenir le personnage d’Alice Cooper depuis quelques années déjà. On imagine que la popularité du chanteur et ses apparences extravagantes n’y sont pas étrangères, et c’est après une rencontre avec Vincent Furnier durant une fête d’après-concert que le projet est validé. Maintenant il reste très difficile de savoir jusqu’à quel point Alice lui-même fut impliqué dans la création de la bande-dessinée, mais si son nom apparaît au crédit d’auteurs en tant que responsable de l’intrigue, c’est certainement plus une obligation contractuelle du fait qu’il ait écrit les paroles des chansons dont s’inspire le scénario. Celui-ci est en fait signé Ed Hannigan (co-créateur de Cloak & Dagger chez Marvel). En revanche puisque les éditeurs Roger Stern et Jim Salicrup, qui sont allés à la rencontre du shock rocker, sont également inscrit comme étant à l’origine de l’histoire générale, peut-être y a-t-il eu une conversation entre les trois hommes pour savoir quelle direction prendre avec le concept…
Quoiqu’il en soit l’idée finale fut de s’inspirer du dernier album en date de l’artiste (From the Inside, paru en Novembre 1978, soit un an plus tôt) et de développer tout un univers sur le même ton un peu loufoque que la musique, afin de coller autant que possible à l’univers fou d’Alice Cooper. Il faut dire que l’œuvre de base n’est pas n’importe laquelle et correspond à une période très particulière de son auteur: entre 1977 et 1978, celui-ci tombe sévèrement dans l’alcoolisme et décide de se faire hospitaliser. Il entre alors dans un véritable asile et ce sont les gens qu’il y croise qui vont l’inspirer pour ses nouvelles chansons. En découle un album concept très personnel (la ballade How You Gonna See Me Now en témoigne) qu’il écrit avec l’aide de Bernie Taupin, le parolier d’Elton John.

 

 

Vu le sujet on aurait vite fait de croire que Tales From the Inside ! est une œuvre sombre et torturée, mais il n’en est rien ! L’album est enjoué, entrainant et très drôle. Et c’est exactement dans ce style que Marvel réalise son comic-book: caricatural, non-sensique, autoréférentiel et totalement assumé dans son délire. Alice va même jusqu’à briser le 4ème mur lors de son évasion, arguant que si certains lieux communs ne se déroulent que dans les films, ils peuvent finalement tout aussi bien arriver dans les comics ! Le point de départ lui-même est totalement saugrenu, voyez plutôt: Alice Cooper est sous pression. Entre ses concerts, ses parties de golf et ses problèmes de boissons, il est victime d’une véritable crise de nerf et se sens déphasé avec le monde qui l’entoure. Se rendant dans une clinique afin de se soigner (avec son boa enroulé autour du corps), il va avoir le malheur de croiser un quasi homonyme dans la salle d’attente. Un certain Alex Cooper, schizophrène paranoïaque et fétichiste des pneus (!) recherché par les Autorités.
Évidemment il y a confusion et c’est Alice qui est capturé par la police et interné de force dans la clinique du Dr. Fingeroth, un sadique aussi tordu que ses patients. Là, le rocker est tout simplement torturé, balancé dans des bains glacés ou victime d’électrochocs violents. On lui coupe les cheveux afin de lui donner une allure plus “normale” et il est abandonné dans une grande salle où traînent les autres fous. A deux doigts de devenir un légume, le chanteur décide alors de s’évader et de retrouver son serpent de compagnie dont on l’a privé…

 

 

 

A vrai dire le script ne s’aventure pas tellement au-delà de ce prémisse, préférant se focaliser sur ce délirant établissement qui a tout de La Maison qui Rend Fou d’Astérix et Obelix. On est pas loin des aventures d’une autre Alice, celle de Lewis Carroll, tant l’absence de règles et les délires narcotiques prennent le pas sur l’histoire. Reprenant énormément de choses sur les paroles de l’album From the Inside, mais également sur d’autres musiques, la bande-dessinée semble être une parfaite représentation de ce qui devait se passer dans les rêves alcoolisés de Vincent Furnier durant son intoxication.
Ainsi la menace qui plane sur Alice Cooper n’est jamais prise au sérieux, surtout avec ses monologues internes totalement décalés. Les protagonistes s’expriment essentiellement par le biais de punchlines ou de calembours lamentables et en résulte des dialogues psychédéliques, qui semblent parfois n’être là que pour faire apparaître un titre de chanson ou un extrait de lyrics. Les murs sont couvert d’inscriptions énigmatiques et les arrières-plans regorgent d’apparitions surprises que l’on doit aux dessinateurs Tom Sutton (le premier artiste sur Vampirella !) et Terry Austin, aux commandes des graphismes. Débarquent alors un clone de Namor dans les douches de l’asile, l’assistant du maléfique docteur prend les traits de Boris Karloff dans Frankenstein et on croise quelques célébrités comme le Pingouin, Archie ou encore Popeye. Certaines références sont même carrément obscures, comme ces deux policiers qui appréhendent Alice au début de l’histoire, en fait les personnages d’un vieux sitcom des années 60: Car 54, Where Are You ?

 

 

Et puis bien sûr il y a tout ce qui touche a l’album original. Billie et Millie, couple d’assassins aussi dangereux qu’amoureux, le vétéran du Vietnam Jackknife Johnny, qui se croit encore à la guerre, et Jérôme, un moine obsédé par le physique de rêve de son infirmière. Cette dernière, Nurse Rozetta, est une véritable femme fatale avec qui il ne faut pas plaisanter, et “Veronica” (une chienne dont le propriétaire, un patient, s’inquiète durant son internement) devient ici le boa que notre chanteur préféré utilise régulièrement sur scène. L’étrange séductrice de Wish I Where Born in Bervely Hills est bien là, ainsi que la “Quiet Room” où Alice Cooper se retrouve isolé. Et si d’autres échos aux chansons sont cachés discrètement ici et là (l’absence de lacets aux chaussures), on en retrouve un qui va être sacrément réinterprété: la célèbre tirade de la chanson-titre, “Where’s my makeup, where’s my face on the inside ?”, qui est réutilisée ici lorsque le chanteur réalise que son docteur veut faire de lui un homme nouveau. En pleine crise d’identité (Identity Crisis …?), Alice ré-applique son maquillage comme s’il s’agissait d’une nécessité à son équilibre mental, tandis que ses cheveux coupés redeviennent long par eux-mêmes !
Déjà génialissime par elle-même, cette séquence prend une toute autre dimension a la lumière d’une révélation: il fut un temps question de poursuivre les aventures du shock rocker et de le plonger au cœur du Marvel Universe ! On imagine alors sans peine l’alter-ego civil Vincent Furnier se transformer magiquement en Alice Cooper lorsque le besoin s’en fait ressentir ! Et si l’idée vous semble improbable (et pourtant, quid de KISS chez Todd McFarlane ?), le présent comic-book en offre un léger aperçu lors d’un hallucinant rodéo véritable entre la star et Nurse Rozetta, qu’il tente de maîtriser en la ligotant, ou quand Veronica remplie son rôle de sidekick indispensable pendant l’évasion de notre héros.

 

 

Ce n’est probablement pas un hasard si Alice Cooper: Tales From the Inside ! a été publié dans la revue Marvel Premiere, un magazine aujourd’hui disparu mais qui servait alors à introduire de nouveaux personnages avant qu’ils ne possèdent leur série régulière, ou au contraire a retrouver des héros déchus qui n’étaient plus en têtes des ventes. S’y sont croisés le Dr. Strange, Iron Fist et la Légions des Monstres, mais aussi 3-D Man (quelqu’un se souvient de lui ?). Et pour être sûre de rassembler un maximum de lecteurs, Marvel avait inclus une publicité dans chaque page informative de ses revues (les Bullpen Bulletins) afin que même celui qui n’achèterait qu’un titre dans le mois soit au courant de la publication.
La BD en elle-même a fait l’objet d’un certain soin, les auteurs ayant préférés rendre hommage aux EC Comics (Tales From the Crypt) plutôt que de livrer un produit classique. Une idée qu’il faut peut-être attribuer à Tom Sutton, dont le travail en général serait très influencé par la compagnie. La couverture en reprend l’aspect graphique reconnaissable, avec ces portraits apparaissant dans un coin de la page, et le titre de l’ouvrage diffère de celui qui apparait dans les pages (Alice Cooper – From the Inside, comme l’album) pour mieux imiter son illustre modèle. La conclusion de l’histoire évoque ces contes d’humour noir lorsque Alice, libre, découvre avec stupeur que l’autre Cooper a profité de sa liberté pour se lancer dans une campagne de politique (référence évidente à Elected), avant d’être de nouveau enfermé alors qu’il tente de prévenir la foule !

 

 

Clairement pas faites pour tout le monde, loin des standards et totalement anarchique, cette bande-dessinée est en phase avec l’œuvre de l’artiste de légende. Tellement, en fait, qu’il paraît impossible après lecture que l’album From the Inside ne soit pas réédité avec, en guise de complément. Alors évidemment ce n’est pas tellement difficile de comprendre pourquoi le personnage d’Alice Cooper n’a finalement pas rejoint le Marvel Universe, et aujourd’hui encore seul l’extravagant Deadpool semble calibré pour éventuel team-up si cela avait été le cas. La réaction des lecteurs, sans être violente, a clairement montré aux responsables qu’il était inutile d’aller plus loin. Dans le numéro suivant de Marvel Premiere, quelques lettres de réaction montre assez bien la perplexité du public qui n’avait probablement jamais vraiment prêté attention à l’univers fou décrit dans les chansons de la rock-star.
L’une d’elle, qui vaut quand même la peine d’être notifiée, considère même le comic-book comme une insultes aux Marvelites, traitant le personnage d’Alice Cooper qui y est décrit comme d’un véritable idiot ! Chacun son point de vue je suppose, aussi vous voilà prévenu.

Espérons que, a défaut de partir dans le même délire, Dynamite Entertainment puisse livrer quelque chose d’aussi respectueux envers son sujet d’inspiration !

 

 

Et bonne Fête de la Musique !

 

I thought we were free and clear, but, then, I thought Iggy Pop was a breakfast cereal !

 

 

   

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