The Silver Kiss (1990)

La Solitude du Buveur de Sang

The Silver Kiss

(1990)

 

The Silver Kiss est le tout premier roman d’Annette Curtis Klause, écrivaine qui aura mit dix ans avant de voir l’un de ses écrits être enfin publié. Critique au School Library Journal et directrice d’une grande bibliothèque, elle officie dans la littérature pour la Jeunesse et c’est là que se classe The Silver Kiss, qui est cependant bien plus adulte qu’il ne le paraît. Un premier essai très concluant pour l’auteure, qui gagne par ailleurs plusieurs récompenses pour ce seul ouvrage.

Il y est question de la jeune Zoé, adolescente de dix-sept ans, véritablement mal dans sa peau. Et pour cause, sa vie devient un véritable enfer: sa mère se meurt d’un cancer, son père l’oublie complètement car submergé par le chagrin et le travail, et sa meilleure amie est sur le point de déménager très loin. La pauvre ne sait plus du tout quoi faire et commence sérieusement à sécher les cours. Dans un moment d’errance, elle croise un étrange jeune homme aux cheveux d’argent, Simon, qu’elle va finir par revoir de plus en plus souvent. Ce qu’elle ne sait pas encore c’est que Simon est un vampire âgé de plus de 300 ans et que sa présence n’est pas sans avoir un rapport avec la vague de meurtres qui secoue la ville…

Alors qu’avec un pitch pareil on aurait pu s’attendre à une basique histoire d’amour entre le vampire et la jeune fille, avec un happy-end à la clé, The Silver Kiss surprend par son ton très adulte et très sombre, pour ne pas dire complètement dépressif. Le livre est divisé en plusieurs “chapitre” portant le nom de ses deux personnages principaux en fonction du quel la narration accompagne, et on constate que l’auteure se penche tout d’abord beaucoup plus sur Zoé, adolescente grandement perturbée, que sur Simon, qui reste assez énigmatique et en retrait pendant un bon moment.

Se focalisant sur la jeune fille, Klause instaure le ton du livre: tout fout le camp. Sa vie se détériore de telle façon qu’il n’y a bientôt plus aucun repère pour elle et une ambiance proche du désespoir total englobe alors toute l’œuvre pour ne plus la lâcher. Dès le début, on se rend compte qu’on ne va pas s’amuser, que l’humour n’a pas sa place et que le sujet est loin d’être celui d’un livre pour la Jeunesse tant les questions et les peurs de Zoé ont une place importante dans l’histoire. Nous apprenons tout d’abord que sa mère est atteinte d’un cancer depuis longtemps déjà et qu’il ne reste plus vraiment de chance de rémission. On perçoit alors les frustrations et les colères d’une pauvre jeune fille tenue à l’écart, traitée comme une enfant qui n’aurait pas la force de traverser cette épreuve et que l’on gave d’illusions, alors qu’elle-même semble bien plus mature et réaliste que son père. Un paternel par ailleurs complètement absent, passant son temps à s’oublier dans le travail et à aller voir sa femme, délaissant son enfant. Malgré toute la gentillesse dont il peut faire preuve cependant, son comportement empoisonne de plus en plus la pauvre Zoé qui ne peut même pas lui faire part de ses doutes et de son besoin de parler. Enfin sa meilleure amie, la seule qui lui permettait de s’évader un peu de cette vie infernale, est sur le point de déménager. De plus celle-ci ne semble jamais vouloir aborder le sujet de la maladie de la mère de Zoé, ce qui peine grandement l’adolescente qui, du coup, n’a personne avec qui en parler.

Le besoin de se confier se fait grandement ressentir et la pauvre adolescente, complètement perdue, commence à se croire (à tort, bien sûr) responsable de certaines réactions des autres envers elle. C’est dire toute la compassion que l’on peut ressentir pour l’héroïne tant l’impression d’injustice est grande, d’autant que rien ne laisse présager un avenir meilleur, même avec ce qui pourrait suivre (introduction de l’élément fantastique, à savoir le vampire).

Simon quant à lui semble tout droit tiré d’un livre de Anne Rice. Grand fan de hard-rock (à la manière de Lestat) et saignant des rats dans des ruelles désertes (tel Louis dans Entretien avec un Vampire), sa condition d’immortel n’offre visiblement pas de perspective très réjouissante. Obligé de fuir le soleil, sous peine de brûler, et de dormir dans une petite valise remplie de terre de son pays natale, sans laquelle il ne pourrait jamais se reposer, il peut se transformer en brume mais avec le risque de perdre sa faculté de penser (puisque divisant ses molécules qui menacent alors de trop se disperser) et donc de retrouver sa véritable forme, pouvant aussi bien être emporté par le vent. Le vampire est victime d’une non-vie de solitude et de douleurs malgré sa force surhumaine et son pouvoir lui permettant de charmer les humains pour les attirer à lui…

Par le biais de ces deux personnages, on voit que ce n’est pas le vampirisme le sujet principal du livre mais le thème de la Mort elle-même. Zoé, perdue, n’attend plus rien de la vie et souhaite même être à la place de sa mère qu’elle trouve infiniment supérieure à elle. Simon, bien qu’éternel, ne tire aucun plaisir de son état et n’existe que pour une seule chose: la vengeance. L’un comme l’autre n’attendent finalement que la mort afin d’être délivrés de leurs tourments et si de leur rencontre va naître une certaine fascination réciproque, ainsi qu’une attirance mutuelle, en aucun cas il ne s’agit d’une romance. The Silver Kiss prend complètement à contre-pied le cliché de l’histoire à l’eau de rose où l’Amour triomphe de tout, et les deux protagonistes sont bien trop obsédés par leurs problèmes pour porter une réelle attention à leurs sentiments.

Cependant, en raison d’une attirance physique dû aux pouvoirs de séduction et de magnétisme du vampire (bien que la question d’acte sexuel ne soit nullement présente), tout deux en viennent à se revoir fréquemment et leur complicité, pour ne pas dire leur amitié, va les aider chacun à leur façon. Non pas au point de résoudre leurs problèmes, loin de là, mais à devenir plus fort et à prendre les décisions qui s’imposent pour aller de l’avant. Simon parviendra à se venger avec l’aide de Zoé, ayant enfin affronté sa solitude, lui qui n’avait plus eu de contact humain depuis sa vampirisation au XVIIème siècle. Quant à l’adolescente, l’aventure qu’elle va vire avec Simon va lui redonner vitalité et force de caractère, lui permettant de dépasser son état d’âme morbide et les sombres pensées qui auraient pu la mener au suicide. Mais là encore, rien de véritablement heureux. L’ambiance dépressive reste présente: Simon s’étant vengé, plus rien ne le retient alors et il prendra la décision difficile mais pourtant logique d’en finir avec sa condition de damné, dans une scène très touchante où les sentiments opposés des deux personnages (Simon, heureux, Zoé, triste et troublée) sont palpables et aussi forts pour l’un comme pour l’autre. S’en dégage une atmosphère très particulière, à la fois empreinte de tristesse et de délivrance. Le thème du récit atteint son apogée et il s’agit là de la preuve irréfutable que The Silver Kiss est un livre adulte. Zoé, justement, devient une adulte au terme de cette scène, trouvant en elle la force de continuer à vivre malgré les dures épreuves, même si tout cela ne se fait pas sans douleur: la visite chez sa mère qui, quelque part, semble être la toute dernière et la disparition successive de Simon et de sa meilleure amie, la laissant complètement seule lors d’une conclusion qui n’amène qu’à une question: “Et après ?”.

Un traitement surprenant pour une œuvre supposée être destinée à un jeune public, qui est de plus accompagné de passages assez osés comme la présence de cet autre vampire, bien différent de Simon car piégé dans un corps d’enfant (là encore on pense à Entretien avec un Vampire), ou la sauvagerie parfois surprenante de ces créatures de la nuit (l’un ira frapper d’un coup de pied méprisant le sein d’une de ses victimes, soulignant d’autant plus sa frustration sexuelle de par sa nature), ainsi que le très léger érotisme, indissociable au vampirisme, à travers les pensées et paroles de Simon et son ennemi.

 

 

Des vampires, on remarque que leur mythologie n’est ici pas des plus approfondit, s’inspirant des visions les plus classiques: on apprend qu’ils peuvent devenir brume en se décomposant mais ce procédé est risqué, qu’ils ne peuvent pas entrer dans un lieu sans y avoir été invité, qu’ils doivent dormir dans la terre de leur pays natale sous peine de ne pas réussir à se reposer et qu’ils craignent plus ou moins les pieux dans le cœur même s’il faut encore réduire le corps en cendres et les éparpiller pour s’assurer de leur mort. On note évidemment une grosse reprise des thèmes de Anne Rice (un vampire semblable à la petite Claudia d’Entretien avec un Vampire, Simon qui, de jeune noble anglais devient un amateur de hard-rock en blouson noir à l’instar de Lestat). Rien de gênant dans l’absolue mais on aurait préféré un brin d’originalité de la part de l’auteure. Pour sa défense, celle-ci n’avait jusqu’ici jamais encore explorée le mythe du vampire à la seule exception d’un vieux poème qu’elle avait composée et dont elle s’est inspirée pour écrire ce récit (quel dommage de ne pas l’avoir inclus dans le livre).

The Silver Kiss, par son ambiance si particulière, n’a donc rien du roman de Jeunesse pour lequel on tente de le faire passer et témoigne d’une grande maîtrise de l’écriture malgré quelques défauts. A lire !

 

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