The Suckling (1990)

 

The Suckling

(1990)

 

 

The Suckling représente la première et la dernière expérience de Francis Teri à la mise en scène, et à en croire Internet cela est une bonne chose. Lorsqu’il commet ce monster movie, le bonhomme n’a aucune autre expérience qu’un peu de figuration dans le rigolo Flesh Eating Mother mais fait preuve de beaucoup de bonne volonté, écrivant un script à la fois convenu mais tellement absurde qu’il reste en tête, et empruntant à Sam Raimi sa réalisation dynamique pour pallier à son faible budget. Hélas le point de départ du scénario est tel que beaucoup s’arrête là et ne font pas attention au reste, critiquant donc vite le film sur son absence de moyen et son histoire sans prêter attention à la cinématographie pourtant bien soignée. A écouter ces détracteurs, le résultat est un nanar hilarant de part ses effets spéciaux bricolés et ses mauvais acteurs, ce qui n’est peut-être pas entièrement faux en soit, mais classerait alors The Suckling dans la même catégorie qu’un Creepozoids.

 

 

En vérité la comparaison ne tient même pas tant le travail de l’apprenti cinéaste enterre facilement la mise en scène statique et désintéressée de David DeCoteau, et que son monstre est bien plus détaillé et animé que l’autre créature en caoutchouc rigide. En fait c’est plutôt du côté de Frank Henenlotter et Basket Case qu’il faut chercher les similitudes, de l’acting hasardeux à l’image poisseuse en passant par les visuels rudimentaires mais frappant. Et surtout la nature déviante, organique et sexuelle de l’intrigue, visez plutôt: nous sommes en 1973 et un jeune couple se rend dans un bordel de Brooklyn pour pratiquer un avortement clandestin. La fille hésite mais son copain la piège, et bien vite elle est droguée et opérée de force. Lorsque le fœtus est jeté dans les toilettes, il entre en contact de déchets toxiques dans les égouts et revient à la vie, mutant agressivement sous l’effet du produit. Désormais de taille adulte, le monstre remonte à la surface pour se venger…

 

 

Si le reste de l’intrigue se limite à la mise à mort progressive des protagonistes, le concept marque tellement que l’on fait vite abstraction de tout le reste – et je veux vraiment dire de tout le reste. Il faut dire que même à notre époque le sujet de l’avortement reste sensible et il n’est pas évident de savoir où Francis Teri se situe dans le débat. Beaucoup pense que nous sommes ici dans le territoire pro life du fait de la description peu flatteuse des opérations clandestines et du refus de l’héroïne de perdre son bébé, mais ce n’est pas si évident. En choisissant d’utiliser l’année 1973, juste avant que ne soit voté l’arrêt Roe v. Wade favorisant les droits des femmes, et considérant que le tournage eu lieu lorsque Ronald Reagan était président, fer de lance de l’organisation évangélique Moral Majority, ce serait en fait plutôt l’inverse. Le réalisateur traite finalement d’une époque où se sont les lois conservatrices qui forçaient les gens à trouver une alternative dangereuse et trop souvent dirigée par le milieu criminel.

 

 

Mais que le sous-texte socio-politique ne vous affole pas, The Suckling s’apprécie parfaitement au premier degré et d’autant plus si l’on prête attention à la cinématographie. Francis Teri admire certainement Evil Dead et en recycle de nombreuses trouvailles qui boostent de façon non négligeable les séquences d’expositions et de dialogues les plus banales: cadrages inventifs, mouvements de caméra, travail du bruitage et jusqu’à la musique qui évoque un peu celle de Joseph LoDuca par instants. Le bruit des pales d’un ventilateur en ajoute à l’ambiance de la salle d’attente, les égouts deviennent gothique comme chez Tim Burton, certaines séquences utilisent une stop motion si primaire qu’elle en devient cauchemardesque… Associé à l’image ultra granuleuse et certains moments surréalistes, The Suckling surpasse aisément le creature feature banal typé “film de couloirs” et gagne énormément en atmosphère. Et en caractère, de part sa bizarrerie.

 

 

Car si le principe du monstre massacrant le casting demeure, avec seulement une poignée de scènes sanguinolentes pour cause de manque d’argent, l’exécution est toujours étrange et décalée. Une femme est décapité dans les toilettes par un cordon ombilical utilisé comme un tentacule, la main coupée d’un businessman retourne se cramponner à la mallette qu’elle portait avant l’amputation, et l’héroïne hospitalisée à des visions d’une infirmière aux seins nues et couverte de sang se baladant avec une hache à la main. La personne en charge des avortements utilise le même cintre pour extraire les fœtus et accrocher ses vêtements (elle retire juste les morceaux de viande du crochet entre les deux), un message d’introduction à la Massacre à la Tronçonneuse tente de nous faire croire que les évènements du film sont véridiques, et la conclusion montre même la bestiole régler son complexe d’Œdipe avec ses parents. Tuant son père, il régresse alors à l’état d’embryon pour retourner dans le ventre de sa mère qui n’en demande pas tant !

 

 

Le plus curieux reste sans doute la manière dont les protagonistes se retrouvent prisonnier de la maison close: la bête scelle les portes et fenêtres avec une étrange matière organique qui évoque un peu le placenta, créant une sorte de nid qui représenterai bien un utérus qu’il faut franchir pour arriver à l’air libre. Une scène coupée et partiellement dévoilée durant le générique de fin montre un type fondre complètement jusqu’à l’état de squelette après avoir tenté d’entrer dans la demeure. Difficile d’expliquer sa suppression tant la séquence est réussie, qui plus est le générique précise que le personnage est censé être un sénateur, ce qui confirmerait que Francis Teri critique bel et bien l’administration de son pays. Quant au bébé mutant il vaut bien le coup d’œil, conçu par un Dean Mercil dont on a pu voir le boulot dans Black Roses, Metamorphosis: The Alien Factor ou encore Critters 3 et 4. Avec ce fœtus il rend sans doute hommage à Combat Shock, où il faisait de la figuration, le rendant abominable avant même sa métamorphose.

 

 

Considéré comme trop large pour ses quelques semaines de gestation, il ressemble déjà à un petit monstre façon Ghoulies mais en plus dérangeant, pleurant dans son agonie. Par la suite il évoque un croisement entre le Nouveau Né d’Alien: Resurrection et un Tyranide de Warhammer 40.000 avec ces espèces de faux en guise de bras ; une sacré bestiole qui conserve néanmoins un côté cartoonesque avec ses grands yeux globuleux façon dessin animé. C’est peut-être l’un des seuls points noirs du film justement, ce déséquilibre flagrant entre l’humour potache et la gravité de la situation. Tandis qu’un psychopathe violent qui a tout de David Hess dans les rape and revenge des 70s terrorise les survivants, exécutant une vieille prostituée d’une balle dans la tête alors qu’elle lui tourne le dos, une séance BDSM vire au burlesque avec bruitage d’avion lorsqu’un gode pénètre l’anus du soumis et qu’une dominatrice désarme d’un coup de fouet le client qui brandissait un sex toy devant elle.

 

 

Difficile de concilier ce second degré à la Troma avec des passages bien plus sombre, comme lorsque l’héroïne abandonnée à l’asile est violée par des internes sous le regard des autres fous, mais il s’agit évidemment d’un défaut de premier film comme on en trouve bien d’autres. L’humour involontaire intervient plus d’une fois lors du mauvais acting ou devant des décisions étranges, comme celui de choisir sans raison un acteur quasiment nain dans le rôle d’un médecin. Le montage recycle plusieurs plans ici et là tout au long du film et certaines séquences d’action ne s’enchainent pas toujours parfaitement, notamment lorsqu’il est question de la stop motion ou des effets gores, et tous les effets spéciaux ne sont pas réussi, en témoigne le cocon créé par le monstre autour de la maison. C’est dans ces moments que The Suckling nous rappel qu’il est un petit budget tourné en amateur par un parfait débutant, et c’est la raison pour laquelle bien trop de spectateurs se moque de lui.

C’est tant pis pour eux puisqu’ils ratent une petite perle irrévérencieuse n’hésitant pas à tacler un sujet tabou et qui trouve tout à fait sa place entre Frère de Sang et Slime City.

 

 

 

   

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