Resurgam, Chapitre 1

RESURGAM

 

I

 

C’est pas grave, ça arrive. C’est déjà arrivé à d’autres. C’est juste que… T’aurais pas voulu que ça se passe comme ça…

 

« Eh bien, eh bien ! »

 

Tu sombres dans l’oubli total. La douleur disparaît comme tes souvenirs, comme tes regrets. C’est ça la mort. C’est le néant.

 

« Eh bien, eh bien ! »

 

Pourtant tu ressens ta propre présence dans ce vide. C’est bien toi, mais ça a changé. Quelque chose a définitivement changé.

 

« Tu peux bouger ? »

 

Quelque chose en toi s’est brisé. C’est comme ça quand on meurt. On cesse d’être celui qu’on était. Et on se retrouve avec ce qui reste.

 

« Tu peux te lever ? »

 

La présence que tu ressens remue, émerge. Les Ténèbres s’évaporent doucement, comme balayées par cette voix.

 

« Doucement… »

 

Une voix familière, une voix douce et encourageante. Tu l’as connue autrefois. Ça donne envie, n’est-ce pas ? De sortir de ce cocon de néant pour s’en rapprocher…

 

« Ne vas pas trop vite »

 

La présence se réveille, on se sent comme bercé. Les perceptions sont faussées, on sait pas où on est, mais… Peut-être qu’on peut ouvrir les yeux ?

 

« Ouvres les yeux »

 

On se réfère aux souvenirs et on s’imite tel qu’on était avant. T’ouvre les yeux et le néant laisse voir une forme trouble. Un visage penché sur toi. Tu vois pas les traits.

 

« Eh… Salut… »

 

La forme se fait plus consistante tandis que tu renais. Il manque beaucoup de choses encore, et y a toujours cette impression qu’un truc est brisé. Mais tu as des souvenirs, de vagues sensations. Et tu te dis que tu peux peut-être te lever. Et revivre.

 

« Ne forces pas trop »

 

Alors que la vision est trouble, illusoire, tu te relèves. C’est difficile, parce que t’es censé être mort, et que tu apprend ce qui manque. C’est ta volonté. Tes envies. Elles ont disparues, mortes également. Et elles n’ont pas ressurgis du néant comme toi. Ton corps est presque paralysé et ton organisme fonctionne au ralenti. Plus de volonté, plus d’envie, plus rien. Il ne reste que “toi”. Ou plutôt “l’essence” de toi. C’est la seule chose qui te fait tenir et tout le reste te montre qu’il n’est pas d’accord. T’es mort, un mort ça se lève pas, ça pense pas, et ça fait pas d’effort. Pourquoi ça le ferait ? T’as plus rien, t’es plus rien. Et quant on a rien, on peut rien faire. Donc on peut pas vivre.

 

« Attends, je vais t’aider »

 

T’as entendu parler de la Marelle Brisée. T’as jamais bien pigé, mais tu l’assimile à ta propre existence. Y avait la Marelle, y avait Premutos. La brisure de la Marelle, qui la rend si différente de l’ancienne malgré son apparence de simple cassure, de simple fissure, a complètement modifié son existence, son essence. Une Marelle Brisée c’est plus une Marelle, ça fonctionne plus pareil, ça n’a pas les mêmes facultés… Ben cette brisure spéciale, elle est en toi maintenant… Y a la Marelle Brisée, y a le Premutos Brisé. C’est pas juste psychologique. C’est intérieur. Et si t’es pas mort, tu peux pas comprendre.

 

« Reposes-toi sur moi »

 

Pourquoi se lever ? Pourquoi revivre ? C’est très difficile, tu sens que tout est mort en toi. Tu le ressens au plus profond de ton être. Pourtant tu veux t’approcher de la voix. Alors celle-ci t’aide. La voix t’enveloppe. Pas par du son, mais par une sorte de chaleur, de douceur. Une odeur peut-être, même ? Tu connais tout ça. Ça te faisait du bien autrefois, et ça t’en fait toujours. Ça te permet de passer outre certaines choses. Comme le fait d’être mort.

 

« Bravo ! Encore un peu… »

 

C’est pas que tu te sens bien. C’est juste que tu te sens pas mal. Tu te sens… Rien. Mais c’est déjà mieux que le néant. Et puis y a la voix. Ta vision s’accommode, les couleurs sont étranges. Du blanc, du noir. Dans un grand champ de neige, sous une nuit étoilée, tu te retrouves là, face à une grande pierre et à côté de quelqu’un… Une femme…

 

« C’est mieux ? »

 

Les souvenirs sont moins réticents que le reste. Tu connais ce champ de neige, tu connais ce ciel et tu connais la pierre. C’est une tombe. Sans pouvoir lire ce qu’il y a dessus, tu connais l’épitaphe par cœur. Reste la femme. Ton visage se tourne vers elle et elle t’apparaît enfin…

 

« Ça faisait longtemps, hein ? »

 

Elle te parle. Elle te sourit. Elle est magnifique. Sa présence scintille, elle est comme enveloppée d’une aura. Ton amour pour elle exacerbe sûrement les choses mais… La vision est d’une beauté inégalable. Malgré la Brisure, tu es bouleversé. Émue. Et elle te sourit gentiment. Alors toi aussi tu te mais à parler, parce que tu en as rêvé tant et tant de fois…
– Oui, ça faisait longtemps…
Elle est un peu gênée. C’est normal depuis le temps. Elle baisse les yeux un bref instant, comme intimidée, puis te fixe intensément. Toi tu la dévores du regard, figé sur place de peur que le moindre de tes mouvements ne puisse la faire disparaître, comme si elle n’était qu’un mirage. Un petit et doux rire de sa part.
– Je suis un peu fâchée, fait-elle sans colère. Tu ne m’as pas tenu compagnie depuis longtemps…
Tu réponds pas parce que tu sais à quel point elle a raison. T’as même pas d’excuses.

Elle lève un bras fin vers la pierre tombale.
– Ça a même gelé… Mais j’ai gardée les fleurs, tu vois ?
La tombe est couverte d’une épaisse couche de glace bleuie. Elle est comme cristallisée, emprisonnant également le bouquet de fleurs qui se trouve à son pied.
– Je suis restée seule un peu trop longtemps…
Les mains dans le dos, elle donne un petit coup de pied dans la neige comme une enfant. Son visage semble un peu attristé, mais ça ne reste pas puisqu’elle te refait face avec le sourire.
– Toujours aussi peu bavard, hein ? Moi qui pensais que tu aurais changé après toutes ces années !
– J’ai changé… Grâce à toi, oui…
Un sourire malicieux. Elle est heureuse.
– Tu m’as manqué tu sais ?
Tu ne tiens plus et tu t’approches, décidé à la serrer dans tes bras.
– … Toi aussi tu m’as manqué.
Elle recule légèrement, te stoppant net. Tu vois un sourire désolé sur son visage.
– Non… On ne peut pas faire ça.
– Pourquoi ?
– Parce que, Premutos, nous ne pouvons pas.
– … Sybile…
D’un doigt posé sur tes lèvres, elle t’interrompt. Son visage si délicat est rongé par la tristesse malgré ce sourire persistant.
– Chut… Je regrette. Mais c’est impossible… Tu dois repartir… Tu ne peux pas rester là. Repart. Repart maintenant.
Tu ouvres la bouche mais ses larmes te transpercent.
– Non. Repart, Premutos. Je t’ai aimée. Tu m’as offert beaucoup d’amour. Et te revoir, si tu savais… Mais…
Son doigt remonte le long de ton visage pour toucher ton front, tapotant ta tête.
– Tu ne le sens pas en toi ? Ce n’est pas pour toi ici.
– Sybile, je…
Elle secoue tristement la tête.
– Non…
Ses mains attrapes ton visage, elle se hisse sur la pointe de ses pieds pour t’atteindre et poser son front contre le tiens. Elle ferme les yeux et les larmes tracent des sillons nacrés sur ses joues.
– S’il te plaît… Nous ne sommes pas fait pour être ensemble… Tu ne le sens pas ? Tu dois en prendre conscience ! Il le faut.
Tu es perplexe, triste et tu ne veux pas accepter. Bien sûr que tu es mort ! Comment ne le serais-tu pas ? Pourtant elle réveil quelque chose en toi. Du fond de la Brisure semble naître une petite chaleur, comme si la Vie sortait de cette fissure présente dans ton âme. Dans ta tête, il y a une petite chaleur. Et Sybile relâche son étreinte pour te regarder, se forçant à sourire malgré ses pleurs.
– Tu dois te réveiller maintenant.
– … Ce n’est qu’un rêve…
– Un rêve duquel tu dois te détacher si tu ne veux pas y être emporté. Tout ici n’est qu’une surface. Elle cache la profondeur, tu ne dois pas t’en approcher.
– … Si je me réveille, tu disparaîtras.
– Si tu ne te réveilles pas, tout finira par disparaître. C’est un mauvais rêve, Premutos.

Tu pèse le pour et le contre, tu hésites. Tu ne veux pas la quitter, mais sa supplication te force à lui obéir. Tiraillé par le choix, tu attends un peu, et la chaleur de ton corps diminue soudainement. Cette portion de vie qui t’est encore allouée n’est que temporaire. Le choix doit être fait maintenant. Et la jeune femme en a également conscience.
– Je t’en prie. Part.
– … Nous ne pouvons pas rester ensemble alors…
– Je suis désolée…
Son choix est clair. Elle préfère disparaître plutôt que t’entraîner dans le néant de la Mort. Même si pour elle tu t’y serais précipité sans hésitation. Alors tu hoches la tête, honteux.
– … D’accord…
Soulagée, elle te sourit pour de bon.
– Merci…

A l’intérieur de toi, tu te concentres. Tu recherches la dernière trace de cette petite chaleur, de ce petit morceau d’existence dans la Brisure. Tu la saisie à pleine main et il ne manque qu’une impulsion.
Un dernier regard sur la femme qui a changé le cours de ton existence. Plus jamais tu ne la reverras, plus jamais tu ne pourras entendre sa voix. Alors tu te prépares à lui dire adieu. Mais au dernier moment, tu lui dis plutôt ce que tu n’as jamais eu le temps de lui dire.
– Je t’aime Sybile.
Elle sourit. Elle le sait. Et toi tu plonges dans le passage que t’offre cette fissure afin de resurgir de la mort. Autour de toi tout disparaît. La neige disparaît. Les étoiles disparaissent. Puis la pierre. Et Sybile et son sourire.

Allez mec. Tu l’as fais pour elle. Il est temps de vivre maintenant.

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