Le Bel Effet Gore – Rêves de Sang (1987)

Le Bel Effet Gore

Rêves de Sang

(1987)

 

A l’opposé extrême de la collection Kid Pocket, dans laquelle on pouvait trouver Minuit, Heure de l’Horreur d’où provient Cemetery Road, il exista un temps la collection Gore, chez Fleuve Noir. Il me parait absolument inutile de m’appesantir là-dessus étant donné que j’ai déjà chroniqué plusieurs livres de la série et que David Didelot, créateur de Vidéotopsie, a écrit le bouquin définitif sur le sujet encore tout récemment. Toutefois il me paraissait logique de passer d’un genre à un autre, et après la littérature pour la Jeunesse, intéressons-nous à la littérature pour adultes avertis. De la littérature pour “tarés”, même, à en croire les méchantes critiques des journaux à l’époque, qui n’appréciaient évidemment pas beaucoup qu’une série de textes sanglants et ouvertement pornographiques ne viennent faire leur apparition sur les étalages.
Théoriquement ces ouvrages n’ont aucune place dans cette catégorie bien précise du blog puisque étant des romans complets (encore que cela se discute tant les manuscrits étaient coupés, raccourcis, dans un soucis stupide de correspondre à un format de poche, se retrouvant parfois écourté au-delà du bon sens), cependant il faut distinguer une exception avec Le Bel Effet Gore. Paru en 1988, ce numéro hors-série s’intéresse à la collection Gore en elle-même, avec interviews des responsables, analyses du genre et de son évolution sociale, ainsi qu’une petite rétrospective des différents volumes publiés jusqu’alors.

Noyé dans tout ça, quelques nouvelles, très courtes et surtout là pour accompagner le portrait détaillé de certains écrivains. Une façon de les faire découvrir aux nouveaux venus, ou juste de donner un exemple de leurs talents si bien mis en avant (trop ?) dans leur présentation. Rêves de Sang est de celles-ci, présentant à sa manière le style de Nécrorian, alias Charles Nécrorian, alias Jean Mazarin, alias l’auteur du mémorable Blood-Sex, cinquième tome de la série.
A vrai dire je reste encore très partagé concernant le style de cet auteur, et sa petite histoire résume parfaitement ce que je pense de lui: une grande maitrise de l’écriture, mais toujours avec quelques égarements mal venus ou gênants qui empêchent parfois la bonne tenue d’une scène. Blood-Sex était divisé en deux intrigues, et si l’une était très efficace dans ses débordements cul/gore (les frangins bouseux), l’autre était terriblement molle et mal écrite (l’écrivain meurtrier), tandis qu’Impacts, bien que volant totalement l’intrigue du Rambo original de David Morrell (le livre, quoi), était tendu et prenant jusqu’au bout, mais se perdait de temps en temps dans du n’importe quoi “choc” peu réussi et sans rapport avec son sujet (la fellation forcée).

 

 

Bien heureusement, le présent récit est trop court pour tomber dans ce piège et Rêves de Sang apparaît comme l’une des meilleures choses que j’ai pu lire de Nécrorian jusqu’à maintenant. L’histoire se déroule durant le désormais légendaire Festival d’Avoriaz, choix pertinent de la part de l’écrivain puisqu’il a justement réalisé ce texte pour le véritable Festival de 1987, et ceci afin faire découvrir à la Presse et aux invités la création du Grand Prix du roman Gore !
Nous y suivons alors Camille, une jeune comédienne qui a eu l’opportunité de faire partie du jury et qui compte bien en profiter pour se faire quelques contacts professionnels. Cependant elle découvre le dernier film de morts-vivants de George Romero (Le Crépuscule des Morts-Vivants, car c’est ainsi que tout le monde l’appel, qui reçoit ici une mention pour une certaine Susan Chainsaw, supposément actrice victime des zombies: “Le plus joli minois, le sang et les tripes les plus fraîches jamais vues sur un écran” !) et ça ne passe pas. Perturbée, dégoûtée par les horreurs qu’elle y a vu, la jeune femme ne se sent pas très bien et part vite se coucher après avoir abusé de la boisson au cours de la soirée. Elle se réveille vers 1h du matin non sans ressentir un climat oppressant en cette nuit brumeuse, ainsi qu’une odeur nauséabonde qui empeste tout l’hôtel. Prise d’une faim subite, elle décide de ressortir en espérant trouver de quoi grignoter dans un bar, et son monde va basculer dans l’horreur…

Car l’odeur putride qu’elle a découverte, encore plus forte dans le couloir, est celle de cadavres. Corps démembrés, éventrés, dévorés… Morts et morts-vivants. Camille se retrouve dans un monde transfiguré à l’image du film qui l’avait choquée, où les humains sont devenus des zombies s’attaquant aux rares survivants, qu’ils dévorent avec une certaine passion. De façon amusante, la situation se détache énormément de l’univers de George Romero puisque les créatures ne sont pas des êtres dépourvu d’intelligence. Ici ils parlent, draguent, se comportent comme des personnes tout à fait normale si ce n’est pour l’orgie sanglante qu’ils réalisent.
L’héroïne, après avoir découvert les restes d’une victime dans l’ascenseur (Flyboy ?) qu’elle a prit machinalement, croit même perdre la raison tant ce qui lui arrive n’a pas de sens. Dans le hall, elle découvre l’un des zombies du film qui l’invite à la façon d’une intrigue romantique, l’entrainant dans un restaurant où les autres monstres se livrent à un festin cauchemardesque. En dévorant une attachée de presse, l’un d’entre-eux déclare malicieusement “Sa poitrine est exquise”. La narration fait état des détails les plus abominables avec une écriture tout à fait savoureuse: “Les hurlements de douleurs couvraient la sono pourtant à son maximum.Quant à l’hôte de Camille, il la trouve tellement désirable qu’il espère lui faire l’amour et fonder une famille avec elle !

 

Le zombie qui, je crois, drague l’héroïne en cours d’histoire

 

C’est là que Nécrorian fait basculer l’histoire avec le twist que l’on sentait venir de loin (surtout vu le titre de l’œuvre), arrivant à une conclusion qui aurait dû être très satisfaisante et proche de The Twilight Zone (ou plutôt Tales From the Darkside dans ce cas) mais qui malheureusement n’accroche pas autant qu’elle aurait dû.
Ainsi tout ceci n’était qu’un rêve, Camille prenant la fuite et se réfugiant dans sa chambre, dans son lit, pour mieux se réveiller encore une fois. Un cauchemar né de sa mauvaise expérience avec le long métrage et de l’alcool qu’elle avait ingéré, rien de plus. Mais déjà quelqu’un vient la chercher pour la prochaine projection. Un classique, lui assure t-on, inspiré des méfaits de Jack l’Éventreur mais rien d’aussi violent que la dernière fois. Et alors que la jeune femme se prépare, son collègue s’introduit dans la salle de bain pour la surprendre. Peut-être pour une partie de jambes en l’air, pense Camille qui n’a rien contre, si cela peut lui assurer un avenir professionnel intéressant. Hélas pour elle, l’homme est un fou armé d’un scalpel et va s’occuper d’elle exactement à la manière du film qu’ils devaient visionner… Une conclusion qui laisse un peu sceptique tant on perçoit d’emblée sa mauvaise gestion. En tant que tel, Rêves de Sang semble n’être qu’une nouvelle gore banale, où l’épisode “zombie” n’est qu’un rêve prémonitoire annonçant la triste fin du personnage principal.

 

 

Cela s’accorde parfaitement au style de Nécrorian, écrivain du genre totalement “réaliste”. “Pas question ici d’aberration surgie des mers, d’affreusetés poilues issues de la glaciation ou d’infâmes résurgences d’un Moyen Âge malsain” disait justement Jean-Philippe Mochon, auteur du Bel Effet Gore, dans la présentation lisible juste avant. Et c’est bien dommage car il aurait suffit d’un rien, à peine quelques mots de plus, pour parfaitement terminer ce texte.
Juste de quoi montrer qu’à l’issue de la séquence “éventreur”, Camille… Se réveille ! Encore. Pour mieux tomber dans un nouvel Enfer inspiré d’un autre film d’horreur. Une sorte de boucle interminable qui aurait fonctionné sur le plan de la mise en abime. Tant de quoi faire un rappel au final mémorable de Blood-Sex que de véritablement convenir au titre du film (Rêves de Sang, au pluriel). Logiquement le meilleur moyen de conclure cette histoire, qui du coup semble manquer de quelque chose. Pas en gore bien sûr, là-dessus c’est parfaitement réussi et l’auteur prouve qu’il est digne de l’éloge qu’en faisait Daniel Riche. Mais peut-être juste en personnalité.

Car pour tout dire, à chaque fois que je me remémore cette nouvelle, je confonds jusqu’à son titre que je pense être Cinéma d’Éventreur. Erreur grossière puisqu’il s’agit là de celui du Out are the Lights de Richard Laymon, publié comme 20ème volume de la collection Gore, mais cela témoigne bien du problème…

 

Jack the Ripper (1959)

Probablement la version évoquée à la fin de la nouvelle

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